02/01/2009
Vient de paraître. Dans le cadre de "Ça ne mange pas de pain !".

Alimentation et société : "L’imaginaire du mangeur bio". Entretien avec l’anthropologue Karen Montagne

Copyright Chauvet/Ademe (1)

En mai 2008, "Ça ne mange pas de pain !, l’émission radiophonique de la Mission Agrobiosciences, se penchait sur le "bio" avec une spéciale, "On a bio dire : quel méli-mélo". L’objectif ? Y voir un peu plus clair parmi toutes les vertus attribuées au bio (plus sain, plus naturel, plus équitable....)
Parmi les différentes séquences de cette émission et à la suite de la table ronde "la vérité sur les bienfaits du bio", Jacques Rochefort accueillait l’anthropo-sociologue de l’alimentation Karen Montagne, auteure d’un article sur les mangeurs bio. Qui sont-ils ? Pour quelles raisons consomment-ils ces produits ? Les mangeurs bio français ressemblent-ils aux mangeurs bio anglo-saxons ?
Une interview suivie d’une discussion avec Bertil Sylvander, sociologue et économiste, et Denis Corpet, directeur de l’équipe Aliment Cancer (Inra-Envt), les invités de la table ronde, "la vérité sur les bienfaits du bio".

L’imaginaire du mangeur bio
"Ça ne mange pas de pain ! de mai 2008 : "On a bio dire, quel méli-mélo"

J. Rochefort : Ce qui nous a poussé à vous inviter aujourd’hui, c’est un article à paraître dont vous nous donnez la primeur, qui s’intitule « La pensée magique et sympathique chez le mangeur bio ». En quelques mots, qu’est-ce qui motive le consommateur quand il passe au bio ?
K. Montagne : Pour ma part, je ne parle que du mangeur français, car les comportements sont très différents d’un pays à l’autre, notamment les Français par rapport aux anglo-saxons. Ainsi, dans l’Hexagone, l’arrivée dans le bio n’était pas motivée par un aspect écologique ou humaniste mais par une rupture de vie : la survenue d’une maladie, le fait de tomber enceinte, l’arrivée de la ménopause chez la femme ou la première crise cardiaque chez l’homme. Dans ces moments là, les gens ont tendance à se requestionner sur leur comportement alimentaire et leurs pratiques de vie en général.

Le bio ne serait-il pas alors un nouvel avatar de la croisade hygiéniste que nous connaissons actuellement et qui prône la morale de la pureté, de ce qui est sain ?
Je dirais plutôt que c’est une tentative de trouver d’autres solutions que le seul système allopathique, c’est-à-dire la médecine conventionnelle, pour pouvoir agir directement sur son propre corps, retrouver une certaine maîtrise au lieu de rester un simple patient.

Dans la « bio-attitude », vous le soulevez dans votre article, il peut y avoir aussi quelque chose de l’ordre du religieux...
Oui, tout simplement par le principe d’incorporation - Je deviens ce que je mange. Ainsi, manger bio, c’est manger plus sain, consommer des aliments plus proches de la nature et donc incorporer toutes les valeurs que l’on accorde à ces produits. Non seulement cela consiste à ingérer moins de toxiques, pense-t-on, même si ce n’est pas vrai, mais c’est s’ouvrir surtout sur une alimentation différente. Par exemple, les personnes atteintes du cancer auxquelles on a conseillé de manger macrobiotique1 se dirigent souvent vers le bio, car il est à même de fournir les plantes et les qualités désirées, mais aussi des guides de type naturopathe.
D’autres encore, ont la volonté d’aller plus loin, en essayant de retrouver un état de pureté originelle...

Vous expliquez aussi dans votre étude qu’on retrouve chez les mangeurs bio une attitude un peu contestataire, avec une critique à l’égard de la société. Cela voudrait-il dire que manger bio, c’est être de gauche ?
C’est du moins avoir une volonté d’un monde plus humain, de liens sociaux plus nombreux. Si être de gauche, c’est vouloir limiter la notion de hiérarchie sociale, vouloir que les petits producteurs gagnent leur vie décemment sans devoir exploiter la terre de manière inconsidérée, alors oui, je connais plusieurs vendeurs de bio qui sont dans ce registre. Même si les légumes ne sont pas beaux, ils les prennent par solidarité car ils considèrent avant tout la valeur du travail que ces produits représentent.

Vous parliez des différences entre pays. Cela signifie-t-il que les représentations du bio ne sont pas les mêmes chez nos voisins ?
La hiérarchie dans les représentations du manger bio n’est pas la même. En France, la motivation première du mangeur bio, c’est la santé. Vient en second la protection des terroirs, des traditions culinaires et agricoles, et, bien après, la notion écologique. D’après ce que j’ai pu observer en Angleterre, l’aspect écologique prime. Ensuite, apparaît l’aspect goût, tradition, ouverture sur d’autres cultures, du fait du melting-pot de la population anglo-saxonne. Quant à l’aspect santé, il est peu prégnant.
B. Sylvander : Ajoutons qu’en Allemagne, en Suisse ou en Autriche, les valeurs environnementales sont dominantes et déterminent la consommation de produits bio.

On entend souvent dire que les produits bio sont meilleurs au goût... Denis Corpet, vous vouliez dire quelque chose là-dessus ?
D. Corpet : Moi, j’ai pour habitude d’acheter des produits bas de gamme. Les premiers prix, dans les enseignes discount. Quand j’achète un produit transformé bio ou qu’on m’en offre un, je le trouve toujours délicieux. Il s’agit de gâteaux secs, de confitures etc. En revanche, les légumes bio que j’achète à des amis pour les soutenir, je les trouve personnellement moins bons car ils sont plus riches en matière sèche et en polyphénols. Du coup, les carottes sont amères. Quant à la salade, elle est pleine de petites bêtes et il faut la laver trois fois ! Donc, pour moi, c’est moins agréable.
B. Sylvander  C’est peut-être du aux procédés de tes amis, car dans les coop ou les supermarchés qui vendent du bio, on ne retrouve plus du tout ce syndrome, qui était très présent en revanche dans les années 70-80. Aujourd’hui, les légumes et les fruits bio sont bons. Et comme, très souvent, les maraîchers bio utilisent des variétés différentes des variétés standard, le goût est lui aussi différent. Ce n’est pas forcément meilleur ou moins bon, mais différent.
V. Péan : En fait, il faudrait peut-être que Denis change d’amis, tout simplement !
K. Montagne : Tout dépend de la valeur qu’on met dans l’aliment et dans la manière de le produire. Cela hiérarchise la qualité dans l’esprit des mangeurs. La moins bonne étant ce qu’on trouve en supermarché, puis en haut de l’échelle, les marchés et, surtout, ce qu’on fait soi-même ou ce que des gens chers ont fait pour nous. C’est le lien social qui, ici, joue. Et ce, pour les produits bio comme pour les autres. Une pomme achetée à un petit producteur, même non bio, sera trouvée meilleure que celle achetée en supermarché, même bio, car on aura passé un temps à discuter en direct avec ce producteur.

Manger bio, selon votre enquête, c’est souvent être anti-consommation. Or la majorité des produits bio sont vendus en grand surface. N’y a-t-il pas là une contradiction ?
K. Montagne : Tout dépend du type de consommateurs. Vous avez les bio « intermittents » qui, ponctuellement, achètent ce type d’aliments, souvent en grandes surfaces. Ceux que j’ai rencontrés sont beaucoup plus impliqués et vont plutôt dans des coopératives bio. On retrouve chez eux des aspects philosophiques, éthiques.
B. Sylvander : Les produits vendus en grande surface sont le plus souvent des produits basiques. Le lait, surtout, les œufs, les céréales, les biscuits. Ce n’est donc pas très impliquant de les acheter. D’un autre côté, il y a les magasins spécialisés et les marchés, où les consommateurs achètent plus en quantité par personne, et sur des assortiments plus larges, avec 5 à 10 produits différents. Ce sont donc deux univers complètement distincts, pour des consommateurs souvent différents.

Pour conclure, pensez-vous que cette consommation va se développer en France ?
K. Montagne : Je pense que les trentenaires, qui ont connu des mouvements étudiants très développés, notamment en sciences humaines et sociales, continuent d’avoir ce type d’engagements. Il est donc probable que ce marché continue à s’ouvrir, du moins tant que les gens en auront les moyens.

Interview réalisée par Jacques Rochefort de la Mission Agrobiosciences, dans le cadre l’émission spéciale de "Ça ne mange pas de pain !", "On a bio dire : quel méli-mélo", enregistrée en mai 2008

Télécharger l’Intégrale de cette émission spéciale, On a bio dire, quel méli-mélo ! Le bio sous toutes les coutures : histoire, rapport à la nature, effet sur la santé, imaginaire du mangeur bio.....

"Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go) est une émission mensuelle organisée par la Mission Agrobiosciences pour ré-éclairer les nouveaux enjeux Alimentation-Société. Enregistrée dans le studio de Radio Mon Païs (90.1), elle est diffusée sur ses ondes les 3ème mardi (17h30-18h30) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. L’émission peut aussi être écoutée par podcast à ces mêmes dates et heures. Pour En savoir plus....

A l’issue de chaque émission, le magazine Web de la Mission Agrobiosciences édite l’Intégrale, une publication d’une dizaine de pages, téléchargeable gratuitement. Retrouvez Toutes les Intégrales de "Ça ne mange pas de pain !" mais aussi toutes les chroniques et tables rondes.

(1) couverture du dossier Eco consommation de l’Ademe

Lire sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement) :

Entretien réalisé par Jacques Rochefort dans le cadre de l’émission spéciale "On a bio dire, quel méli-mélo", mai 2008

Accéder à toutes les Publications : Alimentation et Société Des conférences-débats, tables rondes, points de vue et analyses afin de mieux cerner les problématiques sociétales liées au devenir de l’alimentation. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes les publications « l’Alimentation en question dans "Ça ne mange pas de pain !" (anciennement "Le Plateau du J’Go"). Les actes de l’émission de la Mission Agrobiosciences sur l’actualité de Alimentation-Société diffusée sur Radio Mon Païs (90.1), les 3ème mardi (17h30-18h30) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. Revues de presse et des livres, interviews et tables rondes avec des économistes, des agronomes, des toxicologues, des historiens... mais aussi des producteurs et des cuisiniers. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences

Accéder à toutes les publications : Agriculture et Société Des conférences-débats, tables rondes, points de vue et analyses afin de mieux cerner les problématiques sociétales liées au devenir de l’agriculture. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à tous les Entretiens et Publications : "OGM et Progrès en Débat" Des points de vue transdisciplinaires... pour contribuer au débat démocratique. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes les publications : Sur le bien-être animal et les relations entre l’homme et l’animal Pour mieux comprendre le sens du terme bien-être animal et décrypter les nouveaux enjeux des relations entre l’homme et l’animal. Avec les points de vue de Robert Dantzer, Jocelyne Porcher, François Lachapelle... Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences

Accéder à toutes les Publications : "Sciences-Société-Décision Publique"de la Conversation de Midi-Pyrénées. Une expérience pilote d’échanges transdisciplinaires pour éclairer et mieux raisonner, par l’échange, les situations de blocages « Science et Société » et contribuer à l’éclairage de la décision publique. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes les Publications : Science et Lycéens.
Les cahiers de l’Université des Lycéens, moment de rencontres entre des chercheurs de haut niveau, des lycéens et leurs enseignants. Des publications pédagogiques, agrémentées d’images et de références pour aller plus loin, qui retracent la conférence du chercheur et les questions des lycéens.
Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences

Accéder à toutes les Publications : L’agriculture et les bioénergies. Depuis 2005, nos articles, synthèses de débats, revues de presse, sélections d’ouvrages et de dossiers concernant les biocarburants, les agromatériaux, la chimie verte ou encore l’épuisement des ressources fossiles... Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences

Accéder à toutes publications Histoires de... »- Histoire de plantes (gui, luzerne, betterave..), de races animales, de produits (foie gras, gariguette...) pour découvrir leur origine humaine et technique et donc mieux saisir ces objets. Editées par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes les publications. Sur l’eau et ses enjeux. De la simple goutte perlant au robinet aux projets de grands barrages, d’irrigations en terres sèches... les turbulences scientifiques, techniques, médiatiques et politiques du précieux liquide. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes les publications Produits de terroir, appellations d’origine et indications géographiques. Pour tout savoir de l’avenir de ces produits, saisir les enjeux et les marges de manoeuvre possibles dans le cadre de la globalisation des marchés et des négociations au plan international. Mais aussi des repères sur les différents labels et appellations existants. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

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