18/09/2008
Alimentation et société
Mots-clés: Cancer , Obésité , Pesticides , Santé

Alimentation et cancer : un débat pour faire la part des certitudes, des hypothèses et des croyances

Salle comble ce mardi 16 septembre à la salle Sénéchal de Toulouse, plus de 250 personnes étant présentes pour venir écouter et débattre autour du thème Alimentation et Cancer.
Organisé par un groupe d’étudiants du Mastère Management des Industries de Santé du Groupe Ecole Supérieure de Commerce de Toulouse, la Mission Agrobiosciences et Assosciences Midi-Pyrénées, ces rencontres « Alimentation et cancer : qui croire ? que savoir ? » visaient à faire la part des choses dans la multitude de recettes et d’ouvrages anticancer. Une mise au point pour que chacun puisse se faire sa propre opinion et dont la Mission Agrobiosciences vous retrace ici les grandes lignes, en attendant les Actes.

Pas facile de s’y retrouver
Ce sont en premier lieu les associations de consommateurs et de malades qui ont été conviées à la tribune. Situées à l’interface entre la société et la communauté scientifique, elles se sont fait le relais des attentes en matière d’information sur les liens existants entre alimentation et cancer. « Les consommateurs attendent une information la plus loyale possible », rappelle Nathalie Debar, Présidente de l’UFC Que Choisir de Toulouse. De son côté, Francis Sentenac, Président du CTRC (1) et membre du CNA (2), souligne que ces derniers, aujourd’hui, « ne consomment pas pour se nourrir mais pour se soigner » même si ces réactions ne reposent pas sur des données médicales précises. Et c’est bien là le problème. Comment trouver une information valide ? Et comment être sûr de leur fiabilité dans un domaine où les connaissances évoluent très vite ? Tous deux pointent la difficulté de s’y retrouver.
Autre intervenante de cette table ronde, Patricia Sanner, membre de l’association solidarité. Guérie d’un cancer, elle témoigne des changements alimentaires que cette maladie a induit pour elle : « le cancer est un signal fort que le corps nous donne ». Dès lors, deux solutions : « continuer comme avant ou prendre une autre voie dont l’alimentation est l’une des solutions ». D’autant que c’est là l’un des rares domaines sur lesquels un patient peut agir directement. Elle s’est ainsi tournée vers les produits issus de l’agriculture biologique parce qu’ils sont « cultivés sans produits chimiques et peuvent être consommés avec la peau », a cessé de manger de la viande et supprimé les alcools. Au-delà de sa propre expérience, elle raconte aussi comment les malades atteints d’un cancer se trouvent démunis face aux médecins qui ne font aucune préconisation en matière d’alimentation.

Grand témoin de ces rencontres, le sociologue Jean-Pierre Corbeau était convié à livrer ses remarques au fil de la soirée. Remettant le plaisir au centre de notre rapport à l’alimentation, il souligne le risque de tomber dans une forme de médicalisation de notre alimentation : « On ne guérit pas par l’alimentation. Et à l’inverse, si celle-ci peut être cancérigène, elle ne crée pas le cancer. Elle reste un facteur déclenchant parmi d’autres ».

Alors que sait-on vraiment sur les liens entre alimentation et cancer ?
Qu’ils soient toxicologues, spécialistes de l’obésité ou du cancer, chercheurs, expert en process et nutrition, ils se sont tous prêtés au jeu "d’une radiographie des savoirs", en réponse aux consommateurs et malades. L’objectif de cette seconde table ronde était clair : dire ce que médecins et chercheurs savent mais aussi ce qu’ils ne savent pas, les hypothèses, les incertitudes, les pistes de recherche.
Commençons par ce qui fait consensus dans la communauté scientifique. Denis Corpet, directeur de l’équipe "Aliment et Cancer" (UMR Inra/ENVT) a notamment rappelé que si le cancer est une maladie fréquente dans nos sociétés (une personne sur deux étant un jour atteinte d’un cancer), nombre d’entre eux (poumons, colon, sein) pourraient être éviter en changeant de mode de vie. Le WCRF - le Fonds Mondial de Recherche contre le Cancer - qui a sollicité l’avis des meilleurs spécialistes sur la question, recommande ainsi dans son rapport (3) de « bouger », « de ne pas avoir une alimentation trop dense en calories » et enfin « de garder son poids ». Trois recommandations qui vont de paire. Il préconise également de consommer plus de plantes - fruits, légumes et céréales -, de manger peu de viande et d’éviter les charcuteries. Quant à savoir s’il faut éplucher les légumes et les fruits ou les manger avec la peau, Denis Corpet précise qu’à l’heure actuelle, s’il y a des études chez les animaux ou sur des cellules humaines, rien n’est démontré chez l’homme. Même chose pour leur conditionnement, qu’ils soient frais, surgelés ou en conserve.

Aux frontières de la connaissance
Mais il y a d’autres facteurs qui interviennent aujourd’hui dans les liens entre alimentation et cancer. Interrogé sur le rôle de l’obésité, Max Lafontan, directeur de recherches à l’Inserm, a rappelé que si, effectivement, celle-ci augmente le risque de survenue de certains cancers (pour l’homme, les cancers du colon et de l’œsophage ; pour la femme, les cancers de l’endomètre, du colon et des seins), elle augmente avant tout la prévalence des maladies cardio-vasculaires et du diabète de type 2. Et si certaines études montrent, in vitro, un impact probable sur les cancers hormono-dépendants, le lien n’a pas encore été clairement établi.
Quand on pense obésité, on regarde bien souvent du côté des industries agro-alimentaires. Sylvie Bennet, experte en process et nutrition, a, elle aussi, fait la part des choses. Parmi les sujets abordés, la question des acides gras trans, ces graisses que l’on trouve à l’état naturel dans la viande de bœuf et le lait comme dans les produits de l’industrie agro-alimentaire où ils sont utilisés pour leurs propriétés technologiques et leur capacité de conservation.
Consommés en faible quantité, ils n’ont aucun impact. Reste qu’ils sont présents dans de nombreux produits de l’agro-alimentaire, donc fortement consommés par certaines populations. Or leur accumulation est suspectée de provoquer des maladies coronariennes. Pour le cancer, rien n’est encore sûr. Néanmoins, l’industrie agro-alimentaire a réduit les doses et propose désormais des produits avec un taux d’acide gras trans inférieur à 2%.
L’alimentation peut enfin contenir certaines substances comme les résidus de pesticides ou encore les mycotoxines, molécules produites par les champignons (moisissures) ayant des qualités ou des propriétés toxiques. L’un comme l’autre sont souvent suspectés d’être cancérigènes. Qu’en est-il réellement ? Le directeur de l’Unité Xénobiotiques de l’Inra, Jean-Pierre Cravedi, expert à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), fait le point : « Soyons modeste par rapport à la connaissance. Pour ce qui concerne les xénobiotiques (4), près de 50 000 substances sont produites par l’industrie chimique. Nous avons quelques éléments sur 30% d’entre elles, et une connaissance relativement complète de 5% d’entre elles. En outre, on ne sait pas encore l’effet que peut produire, ou non, un cocktail de ces substances. ». Ainsi, s’il est avéré que l’utilisation de certains pesticides est liée à l’augmentation de certains cancers chez les agriculteurs, une population fortement exposée, rien n’est encore démontré pour l’ensemble de la population. A l’inverse, aucune étude ne prouve de façon catégorique que les produits issus de l’agriculture biologique, qui exclut l’utilisation des produits chimiques, soient, d’un point de vue sanitaire, meilleurs pour la santé.

Méfions-nous des fausses évidences
Après un long débat avec la salle pour évoquer notamment la cacophonie qui règne en matière d’information ou la polémique actuelle sur le lait, Jean-Pierre Corbeau a rappelé que les études épidémiologiques, aussi utiles soient-elles, peuvent comporter quelques biais. Par exemple, en Norvège, l’une d’entre elles a montré que ceux qui buvaient 3 verres de vin par jour vivaient plus longtemps. Mais ce produit étant très cher dans ce pays, ses consommateurs font donc partie de populations aisées, ce qui pose à la fois les questions de l’hygiène de vie et de l’importance du climat social, de la sociabilité et des rituels alimentaires qui peuvent aussi nous protéger.
Dans cette perspective, l’étude du WCRF comporte selon lui deux défauts. D’une part, c’est la première fois que l’on va aussi loin dans le déni d’un aliment, à savoir la charcuterie ; aux Etats-Unis, le rapport préconise tout simplement de ne plus en consommer, mais s’agit-il bien du même type de charcuteries qu’en France ? D’autre part, les études qui sont venues « étayer ce rapport, ont été réalisées en Amérique du Nord. Il y a donc, quelque part, une petite idéologie puritaniste qui traîne ».

Que peut-on faire du côté des politiques ?
Telle était la question posée aux trois derniers invités de cette soirée. Tout d’abord Jean Tkaczuk, président de la commission Recherche, Transferts de technologies et Enseignement supérieur du Conseil régional Midi-Pyrénées, qui souligne l’importance du chantier et la nécessité de « s’attacher à cette question de prévention et d’accompagnement du cancer ». Partenaire du Cancéropôle de Toulouse, le Conseil Régional mène aussi des actions en matière de recherches, d’éducation dans les lycées dont il a la charge, mais aussi d’information.
A ses côtés, Bernard Pradère, Président de la Commission Médicale d’Etablissement de Toulouse. Ici c’est aussi le médecin qui parle, celui qui prend en charge le traitement des cancers digestifs, cancers pour lesquels une personne sur deux fait une récidive.
Le médecin n’en oublie pas moins l’aspect culturel de la chose. On relie ainsi volontiers la diminution des cancers de l’estomac à l’apparition du frigo. Ce dernier permet en effet de conserver la viande sous une forme autre que les procédés de salaison et de séchage. Et on sait qu’une consommation importante de charcuterie a une incidence sur l’apparition de ces cancers. Pour autant, tous les pays disposant de cette technologie n’ont pas observé une diminution de leur survenue. C’est notamment le cas du Japon, où ces cancers restent un problème de santé publique.
Enfin, il y a le Cancéropôle de Toulouse, dont on parle beaucoup ces derniers temps. Mais à quoi ressemblera-t-il ? Une question à laquelle Roland Bugat, Président du Pôle de compétitivité Cancer-Bio-Santé, répond. Le Cancéropôle se compose de trois sous-ensembles : la recherche, l’hôpital-clinique et les partenaires (industries et entreprises). La recherche se situe à l’interface des deux autres afin d’établir de part et d’autre des liens d’excellence pour rapprocher les savoirs des malades et des entreprises. Outre ces aspects, le lieu sera également celui de l’échange puisque l’hôpital sera doté d’un espace dédié à la discussion entre les associations, les scientifiques...

Le mot de la fin
« N’oublions jamais que nous ne mangeons pas des nutriments mais des aliments. L’acte de manger est avant tout un acte culturel ». Face à cette tendance qui consiste à appréhender l’aliment non plus comme un tout, mais sous l’angle de sa composition en graisse, sucre ou protéine, Jean-Pierre Corbeau nous met en garde. Il s’agit là d’une forme de déconstruction de l’alimentation. Il nous faut au contraire, aujourd’hui, la ré-enchanter. En d’autres termes, remettre le plaisir au goût du jour.

Synthèse de la Mission Agrobiosciences, 18 septembre 2008

(1) CTRC : Centre Technique Régional de la Consommation
(2) CNA : Conseil National de l’Alimentation
(3) Le rapport du WCRF est consultable gratuitement (cliquez ICI)
(4) Xénobiotique : substance qui n’est pas naturellement présente dans notre organisme comme les pesticides ou un composé chimique d’origine diverse.

Accéder au site du Pôle de Compétitivité Cancer-Bio-Santé-
Accéder au site du Mastère Management des Industries de Santé de l’ESCT
Accéder au site d’Assosciences Midi-Pyrénées
Accéder au site du Cancéropôle de Toulouse

Lire le dossier réalisé par le groupe d’étudiants du Mastère Management des Industries de Santé du Groupe Ecole Supérieure de Commerce de Toulouse, travail bibliographique recensant les dernières découvertes, en France et à l’international, sur le thème Alimentation et Cancer.

Les grandes lignes du débat « Alimentation et Cancer : qui croire ? que savoir ? » organisé par le groupe ESC Toulouse, la Mission Agrobiosciences et Assosciences Midi-Pyrénées, à Toulouse le 16 septembre 2008

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