25/03/2014
La revue de presse de la Mission Agrobiosciences du 25 mars 2014
Mots-clés: Biodiversité , Elevage

Biodiversité : une symphonie pastorale

Lundi 17 mars 2014, Belvédère, le maire de cette commune des Alpes-Maritimes s’avance pour rejoindre ses locaux, la tête occupée par les élections municipales qui approchent à grands pas. Quelle surprise de découvrir plantée là, devant ses portes, une tente Quechua. La nouvelle résidente du siège municipal est une éleveuse quinquagénaire en grève de la faim. Catherine Bisotto-Bois campe le ventre vide pour réclamer le retour de ses terres que la mairie lui a retirées. Catherine, issue d’une famille d’éleveurs, exerce son métier depuis 28 ans. Sa lutte, qui tombe mal pour le maire sortant, illustre une mauvaise gestion de l’espace des Parcs Nationaux administré par les services municipaux. Explications dans cette revue de presse, réalisée par Maxime Crouchez-Pillot, stagiaire à la Mission Agrobiosciences, pour éclaircir le débat.

Quand la faim justifie les moyens
«  Si je n’obtiens pas satisfaction je suis obligée d’arrêter mon exploitation. » déclare Catherine Bisotto-Bois dans un entretien avec Louis Dollo de Pyrénées-pireneus, un Blog qui propose une palette d’informations sur les diverses activités ayant lieu dans les Pyrénées et qui relaye l’actualité des montagnes françaises. Cette éleveuse des Alpes-Maritimes loue des terres à la commune pour exercer son activité ancestrale. Pâturages de montagne, prairies de fauche, ces espaces sont nécessaires à la survie de son élevage de chevaux de Mérens. La polémique démarre lorsque la mairie ne reconduit pas la location de ses terres. Gérée par des appels d’offres, la location est en priorité réservée aux jeunes exploitants. C’est à une jeune de 22 ans, elle-même éleveuse de chevaux, qu’une partie des anciennes terres de Catherine ont été affiliées. Ainsi, toutes ses années de travail sont mises d’un seul coup au profit d’une autre. Les deux femmes se sont alliées pour protester contre cet abus fait aux exploitants de la région.
Médiapart souligne que « ce conflit illustre à merveille la pression exercée sur les derniers paysans dans le parc du Mercantour. » C’est en effet le Parc National du Mercantour (PNM) qui est en charge de la redistribution des terres communales. D’après Xavier Worbe interrogé par la revue, directeur de la Chambre d’agriculture des Alpes Maritimes, c’est une «  lutte contre le pastoralisme [qui est] engagée adroitement par le PNM  » en précisant que « la superficie des estives –lieux où paissent les troupeaux en montage- a diminué de moitié et les prix de location ont été multipliés par trois. » C’est avec un couteau sous la gorge que travaillent ces exploitants qui se comptent aujourd’hui sur les doigts de la main.
Au delà du conflit territorial, c’est la question de la biodiversité qui est mise sur la table. Car l’activité pastorale a comme avantage de maintenir une biodiversité stable dans le paysage des montagnes. C’est elle qui est le liant et qui permet la stabilité de l’écosystème montagnard. Pourquoi alors ne pas étendre ces exploitations plutôt que de les mettre en concurrence ?

Un crime contre la biodiversité ?
L’enjeu des Parcs Nationaux (PN) n’est-il pas de maintenir une biodiversité stable dans leurs espaces ? A première vue, on comprend mal ces décrets du PNM qui diminuent les espaces nécessaires aux éleveurs. Même si l’un des objectif du parc est de figurer à la liste européenne des « Pan Parks » [1] et de diminuer la présence des hommes sur les terres naturelles, la question de la biodiversité n’est pas résolue. Car comme le dit Médiapart, «  partout, ce mélange d’idéologie coloniale et de pensée écologique s’est traduit par la spoliation des populations de leurs biens communs. Partout il a abouti à l’appauvrissement de la biodiversité. » La revue, très critique, se réfère aux exemples des Parcs Nationaux créés dans les colonies britannique et française entre le XVIIe et le XXe siècle, où, visiblement, cette politique d’exclusion de l’activité humaine traditionnelle « a fait des ravages » dans la biodiversité des espaces. Médiapart remet en question et interroge la gestion des terres allouées aux PN.
Sous couvert d’enjeux environnementaux se cachent des intérêts économiques. La revue nous informe que « les industries pharmaceutiques cosmétologiques, agro-alimentaires tirent profit des ressources génétiques des plantes [et] des animaux en y déposant des brevets (Accord sur la propriété intellectuelle dit ADPIC). » Alors quoi ? Les arguments écologiques seraient-ils du flan ? La question se pose quand on sait que « l’accord général sur le commerce de services (AGCS [2]) privatise absolument tout, y compris les savoir-faire, les paysages, les biens communs… » et que la politique mondiale de l’environnement est administrée par des industriels puissants sur le marché. La revue met en évidence ce paradoxe en prenant l’exemple de Maurice Strong, puissant industriel pétrolier, qui a créé le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) en déclarant « qu’il fallait gérer la terre comme une entreprise. » [3] Sachant ceci, on est en droit de se questionner sur les « bons sentiments » de ces administrateurs de l’environnement qui l’intègrent au principe d’économie totale où tout doit être rentabilisé.

Pas si simple de réformer la biodiversité
Un article du Journal de l’environnement fait écho à ce débat. Titré « La simplification de la gestion des espaces naturels en question », la revue spécialiste précise : « Dans le cadre de la future loi sur la biodiversité, le gouvernement va lancer une expérimentation pour " simplifier " la gestion des espaces. » «  "Un tournant historique", "une régression majeure"  » la revue expose dès le début la controverse qui se joue autour de ce projet déjà qualifié de « simplificateur ». Actu-environnement détaille qu’ « un rapport parlementaire, [établi par deux sénateurs Hélène Masson-Maret (UMP - Alpes-Maritimes) et André Vairetto (Socialiste - Savoie) ], formule 53 propositions pour concilier protection du territoire (prévention des risques, biodiversité …) et développement économique des zones montagneuses (tourisme, agriculture, hydroélectricité…). » Le fer de lance de ces réformes est de rassembler et d’unifier ce qui alors était dispersé en plusieurs institutions. Une chartre va être réécrite sur les bases «  du Code de l’environnement, des actes de classement ou des documents de gestion [des] espaces. » Le pôle recherche sera unifié et la gestion confiée à un unique responsable. On l’aura compris, ce projet suscite la discorde, car de nombreux problèmes se posent : quand certains « craignent de voir les élus locaux, les services administratifs et les " lobbies divers " prendre la barre et affaiblir les protections en vigueur », d’autres s’inquiètent quant à la cohérence d’un rassemblement des textes réglementaires déjà existants. Mais la plus forte contestation se porte sur la gestion unique. Les associations crient au scandale : « Ce point a particulièrement fâché les associations qui ont tout de suite compris que cette mesure visait à les écarter de la gestion des espaces naturels. » Car « elles ont aussi développé cette compétence de la gestion des espaces qui serait spoliée par cette redéfinition de la gestion des espaces naturels  » explique le Journal de l’Environnement.
Aujourd’hui, Catherine Bisotto-Bois a récupéré ses terres, et la commune cherche des espaces pour installer la jeune exploitante. Pourtant, cette question de la gestion des espaces naturels n’est visiblement pas si « simple ». Et, leur répartition étant déjà problématique, on imagine les conséquences qu’aurait une « simplification » sur les éleveurs et les agriculteurs de montagne, bergers de la biodiversité.

Une revue de presse de Maxime Crouchez-Pillot, stagiaire à la Mission Agrobiosciences, du 25 mars 2014.

Sources :


Médiapart, Pyrénées-pireneus, Le Journal de l’Environnement, Actu-environnement.

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[1une organisation hybride créée par WWF et le groupe privé Molecanten, une société néerlandaise d’hébergement touristique. Avec le soutien de l’Europe et de l’UICN.

[2Accord 1B de l’Accord de Marrakech qui définit l’Organisation Mondiale du Commerce. Les articles de cette accord autorise, sous couvert de l’accord des Etats, la libéralisation de tout les secteurs de l’activité humaine.

[3« In addressing the challenge of achieving global sustainability, we must apply the basic principles of business. This means running “Earth Incorporated” with a depreciation, amortization and maintenance account ».
« Pour aborder le défi du développement durable dans le monde, nous devons appliquer les principes de base du business. Ce qui implique d’envisager la terre sous forme d’une société anonyme avec des dotations d’amortissement et des comptes d’entretien  ».
Extrait du discours de Maurice Strong, prononcé en 1996 devant l’Institut d’Études politiques internationales de Corée, à Seoul. Cette citation a longtemps figuré sur le site d’EKO Asset Management Partners (www.ekoamp.com), consacré aux investissements financiers dans le domaine de la biodiversité.

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