Vive l’agro-révolution française ! est d’abord une histoire de rencontres. Rencontres entre un journaliste, Vincent Tardieu, et les agriculteurs ou les scientifiques qui cherchent des alternatives à un système agricole « productiviste » qu’ils jugent en faillite. Véritable trame de l’ouvrage, chaque visite se décline en autant de points venant illustrer tantôt un problème particulier, tantôt une piste singulière.
Malachite, incarnat, miel ou bleu saphir, chaque chapitre s’ouvre par une couleur, celle d’un animal ou d’une plante, emblématique des valeurs ou des cultures qui y sont décrites, ce qui n’est pas sans rappeler l’art héraldique. La première partie esquisse un bilan environnemental « alarmé » et revient ensuite sur les trajectoires et les expériences techniques innovantes. La deuxième partie procède à une approche plus systémique pour sortir de l’ornière : choix politiques ou choix de consommations, les différentes solutions sont ainsi envisagées.
Avec un souci du détail, l’ouvrage explore la diversité des agroécologies : agriculture biologique, agroforesterie, protection intégrée des cultures, agriculture de conservation, etc. Il s’agit de transformations profondes, dont certains agriculteurs -que l’auteur préfère appeler « paysans »- sont pionniers. Si l’agroécologie rompt avec les modèles établis, notamment l’agrochimie, elle ne s’apparente pas pour autant à un retour en arrière ; ce qu’explique, en filigrane, cet ouvrage. Par exemple, conduire de front la lutte biologique, tout en maintenant les rendements et en préservant la biodiversité nécessite une grande technicité et de solides connaissances scientifiques. De plus, c’est une démarche qui requiert de la conviction, si ce n’est un caractère bien trempé pour aller parfois à contre-courant des pratiques majoritaires. Nous résumerons ici deux chapitres illustrant ce livre.
Le lecteur sent, à la lecture du chapitre huit - « Et au milieu du champ poussait une futaie » -que Vincent Tardieu a une affection particulière pour l’agroforesterie : une agriculture qui procède par l’introduction d’arbres au milieu d’autres cultures, et cherche à concilier paysage et réussite économique, entre production de bois et de denrées alimentaires. Après des décennies où les arbres étaient dévalorisés, car considérés comme des obstacles, et où les règlements européens et nationaux n’encourageaient pas nécessairement à « bien » planter les arbres, Vincent Tardieu présente le regain d’intérêt que connaît l’agroforesterie à la française. Il relate ses rencontres avec des agriculteurs gersois qui investissent dans du bois, et sa visite dans le Dauphiné où l’arbre est perçu de longue date comme une « épargne ». En dépit des progrès réalisés, il s’interroge néanmoins sur le faible développement de l’agroforesterie et identifie plusieurs raisons telles que l’insuffisance des incitations des pouvoirs publics ou la lenteur de la recherche académique. A ses yeux, l’agroforesterie croît surtout lorsque le « terreau » culturel est propice. Convaincu par cette démarche comme par l’agroécologie dans son ensemble, Vincent Tardieu l’est certainement. Mais il n’oublie pas pour autant d’ouvrir la réflexion aux difficultés et aux freins que rencontrent les acteurs. De même, il fait preuve d’un certain esprit de contradiction, ou plutôt « de la concession de l’opposition » et ne laisse jamais une critique sans sa réponse.
S’insérant dans une deuxième partie plus politique du livre, et après un chapitre consacré à nos modes de consommations, le journaliste scientifique revient sur le projet de droit à l’alimentation. Si la part de nos budgets consacrée à celle-ci diminue sans cesse (atteignant 12,4 % du budget moyen français en 2008), la faim dans le monde continue à faire rage. C’est pour cette raison que vingt-quatre pays ont inscrit l’accès à l’alimentation dans leur constitution comme un droit opposable ; un moyen de lutter contre ce fléau multifactoriel. En bon journaliste, Vincent Tardieu a posé trois questions à Olivier de Schutter, rapporteur spécial aux Nations Unies pour le droit à l’alimentation, dont les positions en faveur d’une agro-écologie paysanne et pour le droit à l’alimentation semblent aussi pertinentes qu’audacieuses. Pour lui, « l’agroécologie n’est pas uniquement une question d’itinéraires techniques : c’est également une façon d’organiser les producteurs, de diffuser les approches nouvelles de manière horizontale et non pas seulement verticale comme cela se fait habituellement. »
Voilà donc un livre captivant qui a l’avantage de présenter dans ses dernières pages une description synthétique des différentes formes d’agroécologies abordées et une bibliographie bien étayée. Il ne se referme qu’après avoir ouvert d’intéressantes perspectives pour l’avenir, où agriculture, alimentation et préservation de l’environnement sont réconciliées.
Une note de lecture proposée par Nicolas Geoffroy, stagiaire à la Mission Agrobiosciences.
Vincent Tardieu, Vive L’agro-révolution française ! Editions Belin, collection Regards, 464 pages, 22 €.
Sommaire
- Chapitre 1 : Prologue sur une faillite
- Chapitre 2 : Le vers est (parfois) dans le fruit mais au moins il est sain
- Chapitre 3 : Ecophyto 2018 : l’ère de l’« après pesticides »
- Chapitre 4 : Trop bio pour être bon ?
- Chapitre 5 : La lente mutation de la recherche académique
- Chapitre 6 : La richesse est dans le pré, cours-y vite, cours-y vite !
- Chapitre 7 : Offrez le gite aux ennemis de vos ennemis, ils se chargeront de mettre le couvert
- Chapitre 8 : Et au milieu du champ poussait une futaie …
- Chapitre 9 : Désherbez sans chimie ni labour, c’est possible ?
- Chapitre 10 : Réparation d’une offense grâce à d’épais couverts fleuris
- Chapitre 11 : Savez-vous plantez vos prés à la mode de Pochon ?
- Chapitre 12 : La guerre des protéines ou comment reconquérir son indépendance
- Chapitre 13 : 100 % naturel, service compris
- Chapitre 14 : Peut mieux faire, mais déjà pas si mal
- Chapitre 15 : La variété fait toute la différence...
- Chapitre 16 : Consommer mieux pour nourrir plus de monde
- Chapitre 17 : Le droit à l’alimentation reste une conquête planétaire
- Chapitre 18 : Biolait, une aventure humaine au coin de l’étable
- Chapitre 19 : Faire court pour être plus autonome
- Chapitre 20 : La vallée de l’espoir
Accessible gratuitement sur le site de la Mission Agrobiosciences :
- Cultiver sans herbicides, c’est possible. Mais cela implique des changements culturels assez forts. Entretien avec Nicolas Munier-Jolain
- Le désir de catastrophe : un pire à éviter ou un horizon qui attire ? Restitution de la Conversation Midi-Pyrénées, séance introduite par Henri-Pierre Jeudy, philosophe, et Jean-Michel Maldamé, théologicien dominicain
- Tout beau, tout bio ? L’envers du décor Note sur le livre de François Desnoyers et Elise Moreau
- Le Paysan et la Nature, mythes fondateurs de l’intensification écologique. Un article du sociologue Frédéric Goulet
- Agroécologie : aujourd’hui 10% de pionniers, demain 90% d’agriculteurs engagés ?
Intervention de Philippe Baret lors du colloque national Produisons Autrement, le 18 décembre 2012 - La biodiversité c’est maintenant Note sur le livre de Bernard Chevassus-au-Louis
- L’agriculture de conservation, une technicité désavouée.
Témoignage de Gérard Rass, Secrétaire général de l’APAD
-La faim sans les moyens. Revue de presse de la Mission Agrobiosciences du 26 août 2008 - Qu’est-ce que l’agriculture écologiquement intensive ? Note sur le livre de Michel Griffon