21/12/2007
Jean-Marc Moriceau
Nature du document: Notes de lecture

Histoire du méchant loup. 3 000 attaques sur l’homme en France. XVè-XXè siècle. (Sélection d’ouvrage)

Copyright Editions Fayard

Le changement de conception de la place de l’homme dans l’univers et le souci revendiqué de défendre la biodiversité ont revalorisé l’image du loup. Avec son retour dans les Alpes, le renversement de perspective crée un fossé au sein de l’opinion publique et accroît les tensions entre les acteurs des espaces pastoraux et les gestionnaires de l’environnement. Dans ce débat souvent passionné, les attaques de loups qui, des siècles durant, l’ont fait classer parmi les prédateurs les plus nuisibles sont remises en cause. Comme l’agression connotée la plus négativement, celle du loup considéré comme « mangeur d’hommes ».

Lire le compte rendu de la table ronde du 23 octobre 2007 autour de l’ouvrage de Jean-Marc Moriceau organisée par le Pôle rural de l’Université de Caen

Lire une présentation de l’Histoire du méchant loup et du dossier de presse

Pour circonscrire les enjeux d’une question si sensible, il importait d’y voir plus clair. De quels témoignages dispose-t-on et quelle en est la validité ? Comment distinguer les attaques d’animaux anthropophages des cas de rage ? Pour quelle évolution chronologique et quelle répartition géographique ? Comment identifier les agresseurs et quelle en fut la perception culturelle ? Quelles techniques de prédation étaient elles mises en oeuvre ? Quel fut l’impact démographique et sociologique des attaques ? Quel risque effectif le loup fit-il peser sur l’homme ? Pour répondre à ces questions, l’ouvrage a mobilisé les témoignages et les travaux publiés sur plus de cinq siècles d’observation - de la guerre de Cent Ans à celle de 1914 - et rassemblé un corpus statistique de plus de 3000 actes de décès, de 1580 à 1830. Aucune synthèse historique n’avait engagé jusqu’ici une enquête aussi large sur l’ensemble du territoire français. Le travail est loin d’être terminé : l’ouvrage convie à élargir la recherche et à envisager les autres aspects du rapport entre le loup et l’homme. Car finalement, au-delà de l’explication donnée à un fait qui ne va plus de soi, l’étude réalisée renseigne davantage sur l’organisation spatiale des activités humaines que sur l’évolution biologique de l’animal. Le loup est un révélateur des choix de société.

Ancien élève de l’École normale supérieure, Jean-Marc Moriceau est professeur d’histoire moderne à l’université de Caen et président de l’Association d’histoire des sociétés rurales. Il est l’auteur des "Fermiers de l’Île-de-France, XVe-XVIIIe siècle" (Fayard, 1994), d’un "Guide sur la terre et les paysans, XVIIe-XVIIIe siècles" (Caen, 2000), de "Terres mouvantes". "Les campagnes françaises du féodalisme à la mondialisation, XIIe-XIXe siècle" (Fayard, 2002) et d’une "Histoire et géographie de l’élevage français du Moyen Âge à la Révolution" (Fayard, 2005). Directeur de la revue Histoire et Sociétés rurales, il anime, avec le géographe Philippe Madeline, le séminaire du Pôle rural de la Maison de la recherche en sciences humaines de l’université de Caen.

Lire un extrait de l’introduction :

  • Une question sensible Le loup contre l’homme
    « Le loup, qui depuis la disparition des grands carnivores que connurent nos lointains ancêtres troglodytes était devenu le roi de nos forêts, s’en va lui aussi et bientôt ne sera plus qu’un mauvais souvenir qui ne s’effacera pas de sitôt de l’esprit des populations habitant certaines régions de France, où sa race exécrée, et parfois dangereuse, exerçait jadis ses ravages. Longtemps après que le dernier représentant de cette espèce aura disparu, on parlera l’hiver, devant l’âtre des fermes ou des maisons de villages, d’histoires de loups qu’on sera tenté de qualifier de légendes parce qu’elles seront de plus en plus lointaines.
    Il est donc nécessaire de citer quelques-uns des principaux méfaits du loup, drames terribles et vrais, afin que plus tard on ne puisse qualifier de fantaisistes racontars le récit qu’on en fera lorsque le dernier représentant de ce brigand à quatre pattes ne sera plus qu’à l’état de souvenir dans la mémoire des hommes. »
    Raymond Rollinat, « Le loup commun. Canis lupus Linné. Quelques-uns de ses méfaits. Sa disparition presque complète en France », Revue d’histoire naturelle, X, 4, avril 1929, p. 105.

    Ecrites en 1929, ces lignes sévères d’un célèbre zoologiste, correspondant à la fois du Muséum national d’histoire naturelle et de l’Académie d’agriculture, sont aux antipodes de la vision du loup qui domine aujourd’hui. Elles ne font que traduire le sentiment d’hostilité qui prévalait encore à l’égard de Canis lupus. En quelques décennies, qui ont vu d’abord l’extinction effective de l’espèce en France puis, après un long intervalle, son retour par les Alpes depuis l’Italie en 1992, le regard sur l’animal s’est profondément modifié. La mémoire des relations anciennes entre le loup et l’homme s’est brouillée. Les prédictions de Raymond Rollinat sur la révision générale de notre perception des « méfaits du loup » trouvent désormais un écho certain : par position idéologique, on en arrive effectivement à les quali­fier de « fantaisistes racontars ».
    Depuis que le prédateur est passé du statut d’animal nuisible à celui d’ani­mal protégé, un tri s’est opéré dans son identité. La prise de conscience des avantages de la biodiversité a contribué à relativiser l’image négative du passé, jusqu’à la remettre en cause. Emblème de la place du « sauvage » dans notre environnement, Canis lupus n’incarne plus la férocité mais la qualité de notre richesse écologique. Car l’ampleur de l’investissement sym­bolique dont l’animal a toujours été l’objet prédispose aux prises de position dogmatiques. En France, dans le débat qui s’étend sur le rapport entre les deux protagonistes, la simple éventualité de l’agression sur l’homme est considérée comme la plus terrible des accusations. En concède-t-on la maté­rialité que la rage devient un recours pour expliquer la transgression et dis­culper l’animal sauvage. Un mauvais procès s’étale au grand jour. Tandis que les loups actuels ne posent plus de problèmes qu’à un secteur limité de l’élevage - très éloigné des centres de décision et d’opinion, et désormais marginalisé -, les relations entre la société et le prédateur n’ont plus rien à voir avec celles qu’elles ont été longtemps dans un pays où le loup était perçu comme l’ennemi public : « chiens, chasseurs, villageois, s’assemblent pour sa perte », une réalité qu’on retrouvait bien au-delà des Fables de La Fontaine. Du loup - la pire des « bêtes noires » ou des « bêtes puantes » -Buffon brossait un portrait épouvantable, souvent cité : « désagréable en tout, la mine basse, l’aspect sauvage, la voix effrayante, l’odeur insupportable, le naturel pervers, les moeurs féroces, il est odieux, nuisible de son vivant, inutile après sa mort » !(Jean-Marc Moriceau) in La Passion du Livre.

    A propos de cet ouvrage, lire l’entretien avec Jean-Marc Moriceau, réalisé par la Mission Agrobiosciences (mai 2008) : Le loup, à la fois révélateur de l’histoire des hommes et de l’histoire de la ruralité

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