A la base, un souci : trouver des remèdes à la dispersion de l’habitat urbain en périphérie des agglomérations, en posant comme principe que la solution de la compacité, qui fonctionne telle une pensée unique, n’est pas satisfaisante et de surcroît inopérante. La pression qui s’exerce sur le foncier dans les territoires périurbains est pointée comme facteur d’une « guerre spatiale entre villes et campagnes ». Une issue possible : que « l’espace rural fonctionne dans un rapport dialectique de complémentarité avec la ville ». Ceci suppose que « le milieu rural » soit vu comme « espace d’expérimentation » et que l’agriculture soit conçue dans une logique d’interaction entre culture rurale et culture urbaine, au titre de sa capacité d’intégration de « l’apport du monde du vivant dans le projet spatial ». Nous sommes aussi invités à explorer en quoi « le principe de l’archipel qui caractérise l’espace rural » peut constituer le socle d’une nouvelle conception de la ville. Voilà pour les principes formulés en introduction par Xavier Guillot coordinateur de l’ouvrage et Martin Chénot, directeur de l’Ecole d’architecture de Saint-Etienne. A l’horizon, pas moins que la révision de l’enseignement dans les écoles d’architecture, dans une conception qui interroge l’habitat dans ses rapports avec les déplacements, l’accès aux services, le rapport à la nature... et tout ce qui organise les villes et les campagnes.
L’inspiration première est fournie par l’expérience italienne de « l’école territorialiste », présentée dans un article très documenté de l’architecte Daniele Vannetiello, pour qui le concept de « ville de villes » se traduit par la création de petites villes vertes en périphérie des grandes agglomérations (exemple de Florence) ou de « ville de villages » dans les territoires ruraux. De nombreux exemples sont donnés de diverses situations collectées à travers la péninsule, traitées selon les principes de cette école. Faisant suite à cette « ouverture transalpine », l’intérêt de l’ouvrage est de mettre en scène en trois parties des contributions où les architectes et aussi les étudiants, futurs architectes, expriment leurs idées et leurs conceptions pour « scénariser » le futur d’une grande diversité de territoires ruraux en alternative au grignotage par des lotissements urbains et en réhabilitant les activités agricoles à proximité. Leur diversité est stimulante malgré leur intérêt inégal qui marque l’écart qui persiste entre les horizons conceptuels affichés en introduction et les concrétisations sur le terrain en l’état d’avancement de la démarche. Une démarche exploratoire en effet, non encore aboutie, même si Xavier Guillot discerne dans certains des cas analysés des formes « d’urbanités rurales » répondant à ses vœux. Une contradiction persiste également, celle d’une démarche participative pour concevoir des habitats nouveaux en impliquant architectes, élus, citoyens… alors que les futurs habitants ne sont évidemment pas encore connus et encore moins sur place. Est-il possible de faire leur bonheur sans eux et de répondre à leurs besoins ? Comment juguler la prolifération de maisons individuelles hors urbanisme en périphérie des agglomérations justifiées par leurs propriétaires par les exigences de moindre coût malgré les dépenses de déplacement dues à l’éloignement du lieu des emplois ? Une tentative intéressante, celle d’une « coopérative d’habitat social participatif » en SCI APP (SCI d’Accession Progressive à la Propriété) sur la commune de Beaumont-sur-Drobie, en Ardèche, dont l’expérience est commentée par le toulousain Stéphane Gruet, fondateur de l’AERA (Actions, Etudes et Recherches autour de l’Architecture). En effet, là, les futurs propriétaires sont présents dès l’élaboration du projet. Mais la démarche est-elle généralisable, par exemple à l’échelle de l’agglomération toulousaine pour les 15 à 20 000 nouveaux habitants annuels ?
La matière de cet ouvrage, dont on appréciera la belle maquette et les illustrations abondantes (photos, cartes, schémas) qui donnent envie d’« aller voir » les réalités sur le terrain, est fournie par les contributions à un Colloque tenu en Ardèche en 2010 dans le cadre du réseau de recherche « Espace rural et projet spatial » animé par Xavier Guillot (architecte et enseignant chercheur à l’Ecole nationale d’architecture de Saint-Etienne), auquel participent des enseignants chercheurs de plusieurs Ecoles d’Architecture en France (Clermont-Ferrand, Grenoble, Lyon, Nancy et Rouen) ainsi que de l’Ecole nationale supérieure du paysage de Versailles, l’Ecole nationale supérieure de la nature et des paysages de Blois et l’Ecole nationale du génie rural, des eaux et des forêts (ENGREF – Agro Paris Tech). On attend avec intérêt les avancées futures de ce collectif.
Jean-Claude Flamant. Février 2012.
Stéphane Gruet à la Mission Agrobiosciences
http://www.agrobiosciences.org/article.php3?id_article=2622
Lire sur le magazine web de la Mission Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement) :
- Les espaces publics, ou l’apologie du terrain vague, Une chronique originale de Valérie Péan, Mission Agrobiosciences, février 2009.
- Paradis verts. Désirs de campagne et passions résidentielles, entretien avec Jean-Didier Urbain, anthropologue à propos de son ouvrage.
- La commune rurale ne grandit pas. Elle se remplit. Elle devient obèse, un exposé de Gérard Tiné, plasticien, enseignant-chercheur honoraire au laboratoire Li2a Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse, dans le cadre de la 14ème Université d’Eté de l’Innovation Rurale à Marciac, organisée par la Mission Agrobiosciences.
- Pas chez moi... ni ailleurs. Mais où sont les terrains d’entente ?, restitution de la conversation de Midi-Pyrénées, introduite par Rose Frayssinet du collectif "Plus jamais ça, Ni ici ni ailleurs", et Patrice Melé, spécialiste de l’analyse des conflits locaux et des territoires (Citeres-CNRS/ Univ. Tours).
- Les gens n’ont plus honte d’afficher leur intérêt pour le monde de la prédation et pour ses produits, Une interview de Sergio Dalla Bernardina, mai 2011
- La vérité est-elle dans le pot de confiture ?, par Olivier Lazzarotti, géographe, dans le cadre de la 14ème Université d’Eté de l’Innovation rurale (août 2008)
- Faut-il réintroduire l’homme dans la nature ? Les risques d’une fracture écologique, Une conversation de Midi-Pyrénées. Mardi 24 mars 2009