13/02/2014
Février 2014
Nature du document: Chroniques

Le lapin, ça vaut le coup !

Il n’en est pas à un paradoxe près. C’est bel et bien un mammifère, mais il est « rangé » dans la catégorie volaille. Docile et sédentaire, il n’a pourtant été domestiqué que très tardivement. Prolifique, il pullule en un rien de temps, mais se voit régulièrement décimé par de foudroyantes épidémies. Formidable appoint pour lutter contre l’insécurité alimentaire dans le Monde, il est animal de compagnie chez nous, où la consommation de sa viande se réduit comme peau de chagrin. Une enquête sur les traces du lapin...

L’Espagne est son terrier d’origine...

Son nom est déjà toute une histoire. Côté savant, il est Oryctolagus cuniculus. Traduisez lièvre (lagos) fouisseur (du grès orukhès), membre de la famille des lagomorphes, et non des rongeurs comme on pourrait le croire. L’ancien français, lui, n’en garda que la deuxième partie, cuniculus (galerie sous terre, mine) : voilà donc notre animal baptisé connin ou counils dans nos contrées, donnant lieu à moult jeux de mots grivois. D’où la décision radicale, au XVIIè siècle, d’adopter un tout autre mot, a priori moins connoté : le « lapin », tiré d’un terme ibérique.
Car c’est en Espagne en effet qu’est son terrier d’origine. Une rareté : voilà le seul animal d’élevage originaire d’Europe. Très sédentaire, détestant l’eau et donc incapable de franchir les rivières, il reste même longtemps cantonné à la péninsule ibérique où il prolifère. C’est là que les Phéniciens, 1000 ans avant notre ère, découvrent cette étrange bête qui ressemble à l’un de leur petits mammifères, le daman (saphan dans leur langue). Et de surnommer la péninsule « l’ile des saphans » (I-Saphan-in), que les Latins traduiront par Hispania. Cette même Espagne que le poète Catulle appelle la « cuniculeuse » et à laquelle les Romains, qui « exportent » le lapin dans les îles méditerranéennes et lancent les premiers élevages en liberté – les leporaria - empruntent au passage une pratique peu ragoûtante, qui consiste à consommer des fœtus de lapins (les laurices) tirés du ventre de leur mère.

Saisis au collet

Ce même mets, bien plus tard, ne rebuta pas nos moines médiévaux, car il leur permettait de déjouer le Carême et cette fichue obligation de faire maigre. Avec ce prétexte fallacieux : la chair des lapereaux nouveau-nés est d’origine… aquatique ! Du coup, ce sont les monastères qui, les premiers, en France, eurent l’idée de mettre en cage ces lapins sauvages.
Pour de tout autres raisons, les seigneuries emboitent le pas et développent un nouveau droit féodal, qui sera aboli en 1789 : celui des garennes ou varennes (d’un verbe germain signifiant « garder »). En clair, des espaces de taillis plus ou moins clos où les lapins sont protégés de tout prédateur, mais pour y être saisis au collet, capturés par lacet et autres pièges, sachant que leur chair bénéficiaient d’un certain prestige. Une amorce de domestication, donc, dans cette forme d’élevage en liberté, où même les clapiers, apparus plus tardivement, sont uniquement voués à approvisionner les garennes closes en jeunes individus… Peut-être y amorce-t-on même des sélections au niveau des reproducteurs, basées sur les couleurs de pelage : blanc, noir, pie et gris argenté.

Un mutant venu d’Ankara

Mais de fait, la domestication à grande échelle ne s’opère réellement en France qu’au XIXè siècle, lorsque le lapin fait pleinement son entrée dans la basse-cour. Finies ou presque les garennes, place aux clapiers, sortes de garde-manger à portée de main. Parallèlement à cet essor du lapin de chair, notons que l’élevage pour l’industrie des fourrures a également pris du poil de la bête, grâce au lapin angora, un mutant débusqué en Turquie par les Anglais qui comptaient bien en garder le monopole. Peine perdue : malgré l’embargo, des marins en exfiltrent quelques couples qui arrivent par bateau à Bordeaux en 1723. Ils prétendent alors les avoir rapportés... d’Angora, plus exactement Ankara. En quelques décennies, les élevages foisonnent et la France se lance avec succès dans l’exportation des poils puis multiplie les filatures, se hissant durablement au premier rang mondial, avant de se faire doubler par le Chili, l’Argentine et la Chine, surtout, où les conditions déplorables d’élevage sont désormais fortement pointées du doigt.

Les lapins de garenne sur les dents

Mais revenons au XIXè siècle pour voir ce que deviennent, de leur côté, les lapins de garenne. De tous temps détestés des agriculteurs, et désormais sans la protection des fameuses garennes closes, ils se voient attribuer sous Napoléon III le statut peu enviable de gibier de tir. Une chasse très en vogue, ici et dans les contrées exotiques où l’on eut l’idée malencontreuse de l’introduire, donnant lieu à de véritables hordes cunicoles dévastant la Nouvelle Zélande, les îles Kerguélen, l’Australie et autres terriers d’élection... La chasse n’y suffisant pas, naquit une autre idée de génie à l’aube du XXè siècle : inoculer la myxomatose, découverte au Brésil quelques décennies auparavant. Tenez, prenez cette tentative en France du docteur Armand-Delille en 1952… Un « succès » foudroyant : quelques mois suffiront pour que toute la France soit contaminée – 90% des lapins sauvages morts et la quasi disparition des lapins de clapier – et que l’Angleterre soit touchée à son tour. A la fin de la décennie, pas un recoin en Europe où la maladie ne soit présente. Une pathologie d’ailleurs toujours bien présente, malgré les vaccins existants. Depuis, les lapins de garenne se font ici et là plus discrets. Car depuis la fin des années 1980, ils succombent également en masse, sous les effets d’une maladie virale hémorragique qui sévit de la Chine à l’Australie en passant par l’Hexagone.

Viande de guerre

Régulièrement touchée par ces mêmes maux, la filière des lapins de chair connait en plus d’autres difficultés au regard de son âge d’or, au mitant du XXè siècle : car après l’effervescence des créations de race durant les premières années, les élevages en clapiers et en batteries se sont effectivement multipliés à grande vitesse, jusque dans les cours des ouvriers et, à une tout autre échelle, dans les fermes d’Etat soviétiques où des convois entiers de lapins furent expédiés depuis l’Allemagne dans les années 1920, tant pour nourrir les populations que pour les vêtir. Le conflit de 1939-45 voit foisonner la cuniculture, pénurie oblige. Même le Japon s’y met. Sauf que sitôt la paix revenue, le lapin, assimilée à une « viande de guerre » quitte les tablées de bon nombre de pays, dont l’Angleterre. En France toutefois, et dans une poignée d’autres pays dont l’Espagne, l’élevage dit rationnel – pour ne pas dire industriel – prend son essor à partir des 1950 : cages grillagées, granulés, sélection des souches... Sauf que l’animal est fragile, fort sensible aux conditions sanitaires et multiplie les troubles alimentaires. Rebelote, équipe de l’Inra aidant, un plan de sauvegarde est lancé pour relancer la filière, enrayer les maladies, adapter l’alimentation et améliorer les souches.

Sur le râble

A priori, c’est lapin béni. Aujourd’hui encore, avec ses 60 millions de lapins de chair, la France est le 2ème exportateur mondial (après la Chine) et le 4ème producteur de la planète. Mais voilà, depuis quinze ans, tout n’est plus si rose. D’abord, les clapiers ont quasiment disparu des exploitations. Ensuite, la consommation de cette viande fait de moins en moins recette, cantonnée aux générations vieillissantes. Rangé dans la catégorie volaille, peu visible dans les linéaires, il est boudé par les plus jeunes qui le préfère, version mini, en animal de compagnie (en Angleterre, il vient juste après les chats et les chiens...). Résultat, de 1998 à 2000, ses achats ont ainsi diminué de 40% ! Actuellement, en moyenne, les Français n’en mangeraient plus que 1,3 kilo par an.
Ce ne sont pas les associations de défense des animaux qui s’en plaindront : elles ne manquent pas de tomber sur le râble de l’élevage en batterie où les taux de mortalité restent élevés (20 lapereaux sur 100), où les lapines se blessent sur les sols grillagés des cages.

Le retour du clapier ?

Bref, entre le lapin de garenne qui flageole et le lapin de chair qui rebute, ne verra-t-on bientôt plus que les races naines élevéees à domicile ? Pas sûr. D’abord parce l’élevage traditionnel reste nettement majoritaire dans des pays notamment d’Europe centrale et orientale, la Hongrie en tête. Car certains, y compris à la FAO, ont bien compris tout l’intérêt de l’animal et prônent le grand retour du clapier, cette installation sommaire si peu onéreuse. Car le lapin, polyphage, demeure facile à nourrir sans grignoter pour autant des ressources végétales utiles à l’alimentation humaine ; sa viande est riche en protéines. Et si sa sa santé est fragile, il compense par son légendaire caractère prolifique (près de 40 jeunes par femelle et par an, contre 12 pour le porc, et 0,8 pour les bovins). Du coup, notre bon vieux lagomorphe ibérique s’installe dans les pays les plus démunis, via les programmes de développement de plusieurs ONG. Ce fut le cas, déjà, au Mexique, au début des années 70, à travers le programme gouvernemental des « paquets familiaux » qui dotaient les populations rurales pauvres de quelques femelles, d’un reproducteur et de quelques moyens matériels. Depuis, au nom de la sécurité alimentaire, les initiatives se multiplient, notamment en Afrique. Reste ce frein : apprécier cette viande et savoir l’accommoder n’est pas si répandu. Sans oublier que pèsent sur elle des tabous alimentaires, que ce soit dans la culture hébraïque ou chez certaines sectes hindouistes.

sources :

  • Origine et histoire du lapin, Jean Rougeot, 1981. Ethnozootechnie, 27, 1, 9.
  • La biologie du lapin, François Lebas, http://www.cuniculture.info<>br
  • Vétérinaires sans frontières
  • Institut technique de l’aviculture
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