A l’origine, l’invitation faite au chercheur de l’INRA Michel Meuret par ses collègues américains (USA), à la condition qu’il soit accompagné d’un berger, en vue d’une présentation commun joignant leurs connaissances et leurs pratiques respectives. Le succès de la présentation des travaux de « l’école française de pastoralisme » engendra une demande : publier un ouvrage fruit de cette expérience. Evidemment, il devait être écrit en anglais… Michel Meuret, a posé en préalable de sa réponse positive : en faire d’abord profiter les lecteurs francophones. On ne peut que saluer son initiative pour laquelle il a réuni les contributions de plus d’une trentaine d’auteurs.
L’ouvrage a pour sujet l’activité des bergers et des chevriers dans la conduite des troupeaux en intimité avec les caractéristiques des couverts végétaux. Un potentiel humain insoupçonné que révèle la démarche des chercheurs. La démonstration est éloquente par exemple lorsqu’il s’agit de décrire le menu du troupeau au cours d’une journée de pâturage organisée par le berger. Celui-ci parvient à faire extraire des couverts végétaux plus que ce qu’indiquent les normes nutritionnelles habituellement utilisées par les spécialistes de l’alimentation animale. Dans un contexte de végétation hétérogène, tant du point de vue des espèces que des stades physiologiques, le berger sait l’importance de la « relance » pour stimuler l’appétit du troupeau au cours du repas en lui faisant découvrir temporairement de nouveaux horizons alimentaires. On retiendra aussi que la conduite du troupeau par le berger a ses règles qui s’expriment par les formes diverses que dessine le collectif animal dans ses déplacements dans les pâturages de montagne. Ces modes de conduites ont aussi des incidences positives sur l’écologie des formations végétales, d’où leur intérêt pour la gestion d’espaces naturels protégés qui est également évoqué en dehors du seul cadre alpin. L’ouvrage respire de cet air des estives et des garrigues où se trouvent mis en correspondance les deux types de savoir : celui des bergers, empirique mais justifié, celui des chercheurs qui mettent au point des outils adaptés à l’acquisition de connaissances sur des objets inhabituels.
L’ouvrage se termine par des messages d’alerte : les auteurs ne cachent pas les limites à la pérennité de ce type d’activités. Certes l’image du berger est toujours positive, beaucoup de jeunes en rêvent et cet ouvrage a le mérite d’illustrer que cette image a des fondements dans la réalité. Un chapitre bien venu est d’ailleurs consacré aux lieux et contenus de la formation des bergers en France. Mais dans la société d’aujourd’hui, les menaces s’accumulent. Tout particulièrement, des bergers témoignent : ils évoquent la difficulté des conditions de vie qui sont les leurs, où les obstacles à une vie de famille stable sont pointés avec acuité. Sans oublier que leur participation à la gestion écologique des dynamiques des couverts végétaux est confrontée à un autre objectif écologique, celui de la protection d’une espèce animale menacée, le loup. Un télescopage d’objectifs environnementaux qui apparaissent contradictoires. Une analyse détaillée est effectuée de la coexistence difficile entre le loup et les troupeaux, accompagnée d’un démontage critique des mesures de défense préconisées telles que gros chiens de protection, parcs de nuit obligatoires, aide bergers.
Alors, si les bergers étaient aussi en voie de disparition, quelles qu’en soient les raisons, et dont le loup (comme l’ours dans les Pyrénées) ne constitue qu’une contrainte supplémentaire, quelles en seraient les conséquences ? Un abandon des surfaces d’estives qui pourrait être considéré inacceptable par la société, parce que préjudiciable pour les équilibres naturels des territoires de montagne ? A défaut de bergers, quelle serait l’efficacité alimentaire et écologique d’une conduite en parcs clôturés ? Les Nord-Américains, commanditaires de cet ouvrage, ont déjà bien évalués les conséquences négatives sur les couverts végétaux d’un troupeau développant son libre-arbitre en grands parcs clôturés. Alors, quelles mesures innovantes socialement et économiquement pourraient être adoptées, qui permettraient de garder vivant et utile le savoir-faire des bergers ? L’ouvrage ne donne pas de réponses à ces questions, ce n’est pas son objet. Il ne doit cependant pas être interprété comme la défense corporatiste d’une profession. Il s’agit d’abord, d’une somme originale sur une activité qui reste mythique tout en étant fortement ancrée dans la connaissance intime de la végétation et des terrains, des troupeaux et des animaux. Indirectement, il constitue une contribution aux réflexions sur la rationalisation de l’usage des ressources naturelles.
L’hybridité qui a motivé l’ouvrage se retrouve dans son contenu, mais également dans sa forme. Il faut admirer la diversité des expressions écrites – chapitres scientifiques ou à caractère méthodologique, interviews, témoignages de vie - ainsi que la qualité de la maquette et des illustrations où transparaît une grande empathie vis-à-vis des personnes qui font l’objet de ce livre : les bergers. Le livre leur donne la parole à part égale avec les chercheurs. D’autres ayant choisi de rester silencieux s’expriment même grâce aux photos dont ils ont fait le choix. Un bel ouvrage, original et documenté, qui génère des questions cruciales sur le futur des territoires de montagne et de leurs activités. Y trouveront intérêt tous ceux qui se ressentent affectivement liés aux territoires et aux gens de la montagne et des collines, tous ceux aussi qui souhaitent pénétrer le savoir-faire des bergers de manière minutieuse et attachent de l’importance à sa transmission, tous enfin ceux qui manifestent de la curiosité pour une démarche scientifique atypique et exemplaire. "
Jean-Claude Flamant. 2011
Cette note de lecture est parue dans les « Comptes-rendus de l’Académie d’Agriculture de France », volume 97, numéro 1, pages 129-131.
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