24/09/2007
Les Actes de la 13è Université d’Eté de l’Innovation Rurale

Quand l’Europe se fait remettre à sa place

J. Le Cacheux. copyright P. Assalit

Le 1er août 2007, en ouverture à cette 13è Université d’Eté de l’Innovation Rurale*, Jacques Le Cacheux était invité, aux côtés de Guy Paillotin, à exprimer ce que lui inspirait une éventuelle disparition de la PAC. Posément et chiffres à l’appui, c’est à un exercice de lucidité qu’il nous a convié, où la France et l’Europe doivent radicalement reconsidérer le Monde dans lequel elles évoluent. En écho aux propos de Guy Paillotin, il formule lui aussi l’acte de décès de la PAC actuelle.

* Organisée à Marciac par la Mission Agrobiosciences et la Communauté de Communes Bastides et Vallons du Gers. Avec le soutien financier du Conseil Régional Midi-Pyrénées et du Conseil Général du Gers.

"Je vais essayer de donner un certain nombre de points de repère qui seront, je l’espère, complémentaires de ceux qui ont été donnés à l’instant par Guy Paillotin. Pour continuer dans la provocation, quand on dit « supposons la fin de la PAC... », il faut en fait l’exprimer clairement : il n’y a même pas à supposer, la PAC est finie ! Depuis 2003, la politique agricole que tout le monde a en tête, celle qui a été fondée sur le soutien des prix, celle-là n’existe plus. Elle a tellement connu de révisions, ajustements et réformes qu’elle a totalement été réorientée, et ses instruments avec.

Certes, le budget agricole, qui représente à peu près 45 milliards d’euros, peut paraître considérable, accaparant un peu plus de 40% du budget communautaire. En réalité, quand on ramène ce montant, non plus à la taille du budget de l’Union européenne, mais à celle des richesses produites dans l’ensemble des pays, ce financement ne représente que 0,3% du PIB européen. De plus, le coût budgétaire de cette politique est désormais essentiellement affecté aux aides directes pour soutenir le revenu des agriculteurs. De ce point de vue là, la version actuelle de la PAC n’a plus grand chose à voir avec celle qui avait été initialement lancée. Quant à ses perspectives, elles me semblent encore plus dramatiques, avec une réorientation très marquée. Tous les observateurs et les gouvernements européens s’attendent à ce que le fameux bilan de santé débouche sur une réforme profonde de notre politique agricole. Seule la France veut encore croire qu’il s’agira seulement de petits réajustements.

Chéri, j’ai rétréci l’Europe !

Je vais commencer par un certain nombre de considérations plus vastes, portant sur les marchés mondiaux et l’OMC, et j’en viendrais ensuite aux choix auxquels l’Europe va être confrontée en matière agricole et alimentaire.

Il convient d’abord de rappeler que l’évolution du contexte mondial dans lequel s’inscrit la Politique agricole européenne est fortement conditionnée par les tendances démographiques. Il y a un peu plus de quarante années, quand la PAC a été créée, la population mondiale comptait à peine la moitié du nombre d’habitants que nous connaissons aujourd’hui. Elle a donc plus que doublé en moins de 50 ans - nous sommes passés de 3 milliards à 6,5 milliards, ce qui est absolument inédit dans l’histoire de l’humanité. Et ce n’est pas fini : selon les différents scénarios, la population mondiale se stabilisera, d’ici une cinquantaine d’années, autour de 9 à 10 milliards d’habitants, ce qui signifie que nous connaîtrons encore de fortes augmentations au cours des trois ou quatre prochaines décennies.

L’essentiel de cette croissance s’est produite et continuera de se produire en Asie. En 1968, Jacques Dutronc chantait 700 millions de petits Chinois et moi et moi et moi... Aujourd’hui, ils sont 1,4 milliard. Avec l’Inde, l’Asie rassemble déjà la moitié de la population mondiale ! Cette part va encore augmenter, car si la Chine va vieillir relativement vite du fait de sa politique de contrôle des naissances par les décennies passées, l’Inde continuera à connaître une augmentation rapide de sa population. A l’inverse, l’hémisphère Nord est marqué par « l’hiver » démographique. Il est très accusé au Japon, en Europe de l’Est et encore plus en Russie, qui est en phase de décroissance, ainsi que dans la plupart des pays communautaires, à l’exception de la France où le taux de fécondité est proche du taux de renouvellement des générations. Tout cela signifie que la place de l’Europe communautaire dans le Monde a radicalement changé et ne cessera de diminuer dans les années qui viennent. Rendez-vous compte : alors que durant toute l’histoire connue et jusqu’au début du 20ème siècle, l’Europe représentait entre un quart et un tiers de la population mondiale, elle en rassemble désormais à peine 8%. Il faut avoir en tête ce revirement brutal.

Je mets là cependant de côté la question des flux migratoires, un paramètre pour lequel il est difficile de tracer des perspectives, du fait de la forte dimension politique qui le caractérise. Nous savons que la première mondialisation, celle de la fin du 19è siècle, s’est accompagnée de migrations massives à l’échelle de la planète. C’est l’Europe qui, alors, exportait sa population dans le reste du Monde, ce qui est évidemment très différent de ce que nous connaissons aujourd’hui. Jadis exportatrice de capitaux et de population et importatrice de matières premières, elle est devenue un peu importatrice de population et de capitaux, et pourrait devenir exportatrice de matières premières.

Doha : peste soit de la PAC

Dernier aspect, et non des moindres : dans la mesure où la croissance de la population s’opère dans des régions précises du Monde, et du fait des évolutions du climat et des ressources en eau, il est très probable que ces envolées démographiques ne coïncident pas, en terme de répartition géographique, avec les possibilités d’accroissement de la production alimentaire. Pour certains, la mondialisation constitue du coup une réponse parmi d’autres à cette situation, permettant de combler l’écart entre les possibilités de développement de l’offre de produits agricoles d’un côté et, de l’autre, l’explosion de la demande.

Une demande alimentaire qui, d’ailleurs, augmente plus rapidement que la population, notamment en Asie, du fait de l’enrichissement de certaines régions de Chine et d’Inde. Les rapports de la FAO montrent en effet que l’apport calorique moyen dans ces deux pays a augmenté de manière considérable au cours des trente dernières années. Ces pays continuant à s’enrichir, la composition de ce que consomme leur population va également évoluer : elle mangera de plus en plus de produits carnés, riches en protéines, ainsi que de produits transformés, ce qui induit des modifications de l’offre mondiale agricole et agroalimentaire.
Dans ce contexte, les négociations qui se déroulent à l’OMC recouvrent des enjeux considérables pour tous. Vous le savez, le cycle de Doha dans lequel nous nous trouvons a été lancé pour libéraliser progressivement les échanges de produits agricoles et agroalimentaires, avec l’idée - fausse, à mon sens - qu’elle permettra le développement économique des pays les plus pauvres. Il y a là une pression énorme sur l’agriculture et la politique agricole européenne. Pour caricaturer, cela rappelle Les Animaux malades de la peste. Puisqu’il faut un coupable, ce sera l’âne, et tous de crier haro sur le baudet. Ici, en l’occurrence, le responsable de tous les maux, c’est l’agriculteur européen. C’est lui qui a appauvri la planète, et c’est le système de la PAC qu’il faut abolir.
Pour le moment, aucun accord n’est intervenu, mais un certain nombre de pays et d’acteurs, y compris en Europe, sont favorables à son aboutissement pour une libéralisation plus poussée des échanges de produits agricoles et agroalimentaires.

L’heure des bilans : peut-on se refaire une santé ?

Qu’en est-il plus précisément des perspectives européennes concernant la politique agricole ? Premier point : la France est très isolée au sein même de l’espace communautaire. S’il est vrai que, malgré leur hétérogénéité, les Pays de l’Est conservent un certain nombre d’intérêts en matière de politique agricole, l’ancienne Europe des Quinze, en revanche, ne compte plus un seul gouvernement, en dehors du nôtre, qui soit prêt à se battre pour défendre une politique agricole commune en Europe et encore moins la PAC actuelle.
Deuxième point : quasiment en même temps que le « bilan de santé » de la PAC, se déroulera en 2008-2009 la révision à mi-parcours du budget européen : en 2005, l’Union européenne a en effet adopté les perspectives budgétaires s’appliquant pour la période 2007-2013, dans laquelle nous sommes depuis quelques mois. Or tous les gouvernements, la commission et acteurs concernés jugent insatisfaisantes ces perspectives, adoptées faute de mieux. Le budget communautaire va donc être reconsidéré pour être si possible amélioré. Et en l’occurrence, il est très improbable qu’on maintienne la PAC en l’état, d’autant que son coût budgétaire risque d’être encore plus critiqué qu’auparavant. La raison en est simple : le budget européen représente à peu près 125 milliards d’euros et aucun gouvernement ne veut mettre un centime de plus. Pire, tous s’accordent à désigner d’autres objectifs prioritaires à financer : la recherche & développement, l’éducation, l’environnement, l’énergie... Dans ces conditions-là, soit nous sommes capables de dessiner une politique agricole qui ne sera pas considérée par les autres pays européens et nos concitoyens comme une simple politique de soutien aux revenus des agriculteurs, et nous pourrons maintenir un budget cohérent, soit nous restons sur une défense sectorielle purement agricole, fondée sur une logique redistributive, et la PAC n’a aucune chance de survie : presque tous les partenaires de la France à l’Ouest considèrent que la PAC actuelle est de ce point de vue profondément injuste, puisqu’elle soutient massivement des producteurs qui n’en ont pas besoin et qu’elle est financée par des pays qui n’en ont pas forcément les moyens."

Télécharger les Actes de la 13è Université d’Eté de l’Innovation Rurale de Marciac, "Agriculture et territoires ruraux : quelle politique agricole européenne voulons-nous ?", document de 70 pages publié par la Mission Agrobiosciences et accessible gratuitement.

Références bibliographiques :

Fitoussi, Jean-Paul, et Jacques Le Cacheux, dir., 2005 : L’état de l’Union européenne, Fayard et Presses de Sciences-Po.

Fitoussi, Jean-Paul, et Jacques Le Cacheux, dir., 2007 : L’état de l’Union européenne, Fayard et Presses de Sciences-Po.

Par Jacques Le Cacheux, professeur aux Universités de Pau et des Pays de l’Adour, chercheur à l’Observatoire Français des Conjonctures Economiques (OFCE - Sciences Po)

Liens

Pour accéder au site de l’OFCE : http://www.ofce.sciences-po.fr/

Lire les autres exposés de cette Université d’Eté :

Celui de Guy Paillotin : Politiquement, la PAC est déjà morte

Celui de Lucien Bourgeois : Une Pac, oui, mais pour une Politique ALIMENTAIRE Commune

Accéder au programme complet de cette 13ème Université d’Eté de l’Innovation Rurale (2007) : Agricultures et territoires ruraux : quelle politique agricole et rurale européenne voulons-nous ? (13ème Université d’Eté de l’Innovation Rurale)

Retrouver les : Actes des Controverses de Marciac des années précédentes.

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