14/02/2013
Contribution aux 19èmes Controverses Européennes de Marciac

Un élevage de porcs à zéro rejet dans l’environnement ? Les incohérences et les aberrations d’un système.

Afin de nourrir la réflexion des prochaines Controverses européennes de Marciac, "Agriculture, environnement et société : quels mondes construisent les normes ?", qui se dérouleront les 30 et 31 juillet prochains à Marciac (Gers), la Mission Agrobiosciences ouvre un espace de contributions écrites. Une invite à apporter son point de vue, son analyse ou ses questionnements, que l’on soit agriculteur, chercheur, formateur, étudiant, responsable de structures associatives, professionnelles ou administratives... voire "simple" citoyen. L’ensemble des textes sera non seulement publié sur le site, mais également diffusé lors des Controverses en version papier.
D’ores et déjà, le débat est lancé avec ce témoignage de Patrick Oger. En ligne de mire de ce contributeur : les effets pervers des normes environnementales en matière de gestion des effluents dans la filière porcine. Ou comment une mise aux normes parfaitement respectée, dans un élevage intensif, entérine les défauts du système, voire conduit à des aberrations du point de vue énergétique et agro-biologique.

"En 2009, j’ai été amené à visiter un élevage français de 110 000 porcs charcutiers par an, soit une production de 8 millions de kg de viande.
Pour la gestion du lisier, ce site avait souhaité se mettre d’ores et déjà au niveau des futures normes européennes pour la protection de l’environnement. L’objectif était simple : zéro rejet dans l’environnement. Disons le tout de suite : l’objectif est atteint. Vraiment ? A première vue seulement, car à y regarder de plus prêt la réalité est bien différente.

Un procédé coûteux en énergie

Les animaux sont élevés sur caillebotis intégral, c’est-à-dire sur un sol fait d’une plaque de béton ajourée qui laisse passer les déjections au travers. Pas de paille pour la litière, cela n’est pas considéré comme nécessaire puisque le sol reste propre, que la température dans le bâtiment est régulée et que cela rajouterait un coût.
Les déjections sont collectées dans des fosses sous les bâtiments, puis pompées vers la centrale d’épuration du site, un grand hangar entouré de grands réservoirs.
Après que le mélange se soit homogénéisé, une imposante centrifugeuse le sépare en une partie liquide et une partie solide.
La part solide est dirigée vers un tunnel de compostage. Là, elle est mélangée à de la paille neuve (alors que les animaux n’en reçoivent pas en litière…) dans un grand couloir équipé d’un mélangeur automatique qui remue le tout. Après 3 mois de maturation, on obtient un beau compost qui sera exporté par camion à environ 500 km de là, car il faut exporter la pollution hors de la zone de production. Ce compost est fourni à des maraichers du bassin parisien, il est même agréé en bio.
Le système semble efficace, mais combien de tonnes de fuel et de KWh électrique pour transformer et transporter au loin ce compost ?

Azote éliminé

De plus, ce compost ne contient pas d’azote qui, soluble dans l’eau, a été séparé par la centrifugation. Cela en fait un amendement déséquilibré en matières nutritives qui doit être complété par un apport azoté d’une autre source, le plus souvent grâce à l’industrie chimique. Là encore, la dépense énergétique de production et de transport s’alourdit.
La partie liquide, elle, contient donc tout l’azote (soit disant responsable de l’eutrophisation des rivières et des algues vertes sur les côtes bretonnes, alors que ce sont surtout les phosphates qui sont à l’origine de ces problèmes), éliminé au sein de digesteurs, grands réservoirs ouverts où des bactéries rendent l’azote à l’atmosphère sous sa forme gazeuse d’origine. Les quelques traces restantes dans le liquide seront détruites via l’arrosage d’une plantation à croissance rapide, régulièrement fauchée et intégrée directement dans le compost (alors que cela ferait un très bon fourrage pour des animaux).
L’azote est éliminé, le compost recyclé, l’eau résiduelle traitée par filtres plantés. Zéro rejet !

Aberration

Qu’en était-il avant ? Autour de cet énorme élevage, une surface d’un millier d’hectares recevait le lisier par épandage : il était donné gratuitement aux agriculteurs voisins, avec une quantité maximum par hectare (certes beaucoup trop élevée, cela est connu).
Aujourd’hui , ces mêmes agriculteurs continuent à épandre de l’azote dans leurs champs puisqu’ils en ont besoin. Mais faute d’azote d’origine naturelle, ils emploient de l’azote chimique extrait de l’atmosphère par des usines du type AZF, transporté par camions entiers et sur des milliers de kilomètres vers les sites agricoles.
On entrevoit l’incohérence du système. Juste à côté des digesteurs qui renvoient dans l’air l’azote produit naturellement par des plantes et des animaux, on épand des tonnes de granulés d’azote capté dans l’atmosphère par des usines polluantes, très éloignées, et grandes consommatrices d’énergie.
On a ainsi remplacé une aberration due à la concentration de l’élevage et à une mauvaise gestion du lisier épandu sur des surfaces de sol insuffisantes, sous une forme pas suffisamment absorbable car sans paille, par une aberration encore plus grande où l’élevage concentrationnaire est toujours là, plus une énorme dépense énergétique pour atteindre le soi-disant zéro rejet. La cohérence du système serait-elle de favoriser l’industrie pétrolière et chimique ?

Une agriculture toujours plus industrielle

En revanche, dans un élevage lié au sol, les déjections animales font partie d’un circuit autorégulé naturellement. Elles se mélangent à la paille des litières, et ce fumier composté est ensuite répandu sur les mêmes surfaces qui ont servi et resserviront à nourrir les mêmes animaux. Il s’agit d’un engrais complet, naturel, qui demande seulement un peu d’énergie pour sa manutention mécanisée. On sait même depuis fort longtemps récupérer de l’énergie pendant le compostage de ce fumier.
On pourrait conclure en souhaitant que tout élevage soit lié à une surface de sol local et proportionnée à la quantité d’animaux. Cela suppose l’interdiction de l’élevage hors sol, et la diminution importante du nombre d’animaux d’élevage. C’est ce que propose l’agro-écologie. C’est ce vers quoi devrait se diriger la politique agricole commune de l’UE, et plus largement l’agriculture mondiale.
Malheureusement c’est loin d’être le cas. Nos représentants se laissent imposer par le complexe industriel et financier un système de normes qui favorise la dépense énergétique outrancière et une agriculture toujours plus industrielle sous couvert de respect de l’environnement, et même du label AB."

Patrick OGER, travailleur en logistique humanitaire internationale (Tarn). 14 février 2013


Accéder aux modalités de l’appel à contributions :
Que construisent les normes environnementales dans le champ de l’agriculture ?


Consulter le programme des 19èmes Controverses européennes de Marciac : Agriculture, environnement et société : quels mondes construisent les normes ?

Par PATRICK OGER, travailleur en logistique humanitaire internationale (Tarn). 14 février 2013

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