16/07/2014
Vingtième anniversaire des Controverses européennes de Marciac
Avec : Raul Compes

L’esprit de Marciac

photo Véronique Brill

Quel souvenir gardez-vous des Controverses Européennes de Marciac ? En réponse à cet appel à contribution lancé à l’occasion du 20ème anniversaire de ces rencontres , les premiers à nous avoir fait parvenir leur texte nous ont jusque-là fait part avec humour d’anecdotes personnelles. Pour sa part, Raul Compes s’est senti inspiré par l’esprit de Marciac, en clair, ce qui en fait l’âme à ses yeux. Un esprit à la fois immatériel, du côté des approches et des idées, et très incarné, à travers des gens, des paysages et des mets et des paysages.
Après les témoignages du très britannique Tom Lines et du français Marc Gauchée, voici celui d’un économiste espagnol, spécialiste du monde rural et du secteur agricole.

J’ai eu l’occasion de participer, pour la seconde année consécutive, à la 18ème édition des Controverses Européennes de Marciac.
Le petit village est charmant, situé dans la région des Pyrénées françaises, dans un cadre de collines sur les flancs desquelles les champs de maïs et de tournesols alternent avec les prés où paissent les troupeaux de vaches, avec quelques restes de forêts anciennes. C’est un territoire riche, que la nature a gâté et qui a été amoureusement soigné par des générations d’hommes, confirmant l’assertion de George Steiner, lorsqu’il fait référence au paysage à échelle humaine comme un des signes d’identité de l’Europe. Aux attraits naturels de cette région, rajoutons les délices gastronomiques comme l’Armagnac et le foie gras.

Malgré tout cela, Marciac ne serait guère plus qu’une publicité pour le milieu rural français si ce n’était qu’on y célèbre un des festivals de jazz les plus prestigieux d’Europe. Durant plus de 15 jours, des milliers de passionnés se donnent rendez-vous dans cette petite commune, répondant à l’appel des meilleurs musiciens et chanteurs de jazz, sous le commandement, depuis 1991, du grand trompettiste Wynton Marsalis. Alors que les stars commencent à défiler sous le grand chapiteau à 21h00, celle qu’on appelle la musique classique du 20ème siècle remplit les rues et les places du village tout au long de la journée et on peut croiser à tout moment un jeune aspirant à la recherche d’un billet pour la Nouvelle-Orléans.

Dans cette atmosphère cool, détendue et festive, on voit se matérialiser l’esprit de Marciac : des agriculteurs, des chercheurs, des fonctionnaires, des techniciens et agents du milieu rural, des professeurs, des entrepreneurs et des politiciens venus de toute la France et d’autres pays d’Europe, réfléchissent au rôle de l’agroalimentaire dans la société moderne et aux défis de ce secteur. La philosophie de cette Université d’été ouverte, appelée à l’origine d’Innovation Rurale , populaire et pluridisciplinaire, est de favoriser la rencontre d’acteurs qui n’ont pas l’occasion d’être en contact durant l’année, de générer à travers les mots et la discussion de nouvelles idées et de nouvelles approches afin d’améliorer le processus de prise de décisions aussi bien public que privé. Inspirés par le rationalisme de Descartes, animés par l’européisme de Victor Hugo et séduits par l’agir communicationnel de Habermas, plus de deux cents participants abordent chaque année les thèmes proposés par la Mission Agrobiosciences.

L’année précédente, les Controverses s’étaient focalisées sur un thème classique - l’avenir de la future Politique Agricole Commune - mais cette fois là, nous devions nous interroger sur le droit ou non de l’agriculture à être moderne... Un intitulé qui, en plus d’être provocateur, constituait un défi intellectuel de premier ordre dans le pays des philosophes, d’autant plus si on tient compte des tensions dont souffre le secteur. Dédiée à la mémoire de son fondateur, le très aimé et respecté Jean-Claude Flamant, brusquement décédé en juin de cette même année , cette édition a été témoin d’intéressants débats sur l’existence ou non d’une crise dans le modèle de l’agriculture hautement technicisée et sur le rôle actuel du petit agriculteur traditionnel.

Chose impensable dans d’autres instances, un des plats principaux de cette édition était la possibilité d’écouter un Ministre de l’Agriculture improviser un court mais inspiré discours en réponse à deux solides dissertations _ celle d’un psychologue interculturel et d’un sociologue_ sur la globalisation, l’agriculture et la postmodernité. Et à la fin de chaque session à Marciac, la touche finale est donnée, par deux sympathiques, spirituels et caustiques clowns, les Bataclowns, qui font de la parodie un art de la synthèse et de la critique intelligente.

Marciac, début août, devient une grande scène où se côtoient avec naturel des musiciens, des agriculteurs et des citadins en bermuda à la recherche des essences distillées par ces vallées fertiles et amicales. Il n’existe que peu d’endroits comme celui-ci où la symbiose entre agriculture et société, hommes et sciences est si palpable et où se reflète le mieux l’engagement intime et historique de la France avec son milieu agricole et rural et sa culture.
Pourquoi ne cherchons-nous donc pas un endroit pour le Marciac espagnol ?

Retrouvez les autres contributions :

Accéder à la présentation des Controverses européennes de Marciac


Par Raúl Compés López Université Polytechnique de Valencia. 17 juillet 2014
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