19/06/2008
Le sens des mots
Nature du document: Chroniques

Le "capital-santé" ou le corps du délit...

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Nous ne le savions pas jusque-là, mais nous faisons désormais tous partie de la caste des "possédants". Ce bien qu’on nous attribue connaît même une croissance en flèche de ses taux d’intérêt. Vous vous en doutez, il n’est point question ici de rentes financières ou autres babioles immobilières. Cette ressource dont nous disposons et qu’on ne cesse de nous lancer au visage, c’est tout simplement notre organisme... Le capital-santé, cela ne vous dit rien ? Une chronique le "Sens des mots" de Valérie Péan, de la Mission Agrobiosciences.

Depuis peu, non seulement l’affreuse terminologie fait florès, mais nous sommes sommés, à l’instar des actionnaires et des investisseurs de tous poils, de "gérer" et "optimiser" ce précieux acquis. Sous l’influence du marketing, c’est tout notre corps qui est ainsi soumis au dictat de la rentabilité. Nous nous voyons conviés à tenir le plus grand cas de notre capital-souffle, à protéger le capital-soleil de notre peau, à entretenir notre capital nutritionnel, à préserver même notre capital-cheveux. Gageons que d’ici peu, le capital-ongles ne va pas tarder à nous ronger le sang sans oublier le capital-poils s’érigeant contre nos ferveurs épilatrices.

Simple lubie sémantique ? Pas si sûr. Cette contagion du discours économique et financier soulève quelques interrogations. La santé ne serait donc plus seulement l’absence de maladie et l’état de bien-être physique et moral (selon la définition de l’OMS), mais une richesse dont nous sommes désormais les comptables. En bon gestionnaires, nous nous devons donc d’opérer les investissements judicieux - cosmétiques, soins, nutrition, sport...- et de limiter drastiquement les coûts qui menacent de dilapider notre fortune - alcool, graisses, sucres, cigarettes, bronzage... Bref, d’arbitrer entre le plaisir immédiat et le placement pour l’avenir. De faire barrière, non pas tant aux agressions extérieures qu’à notre fichue manie de profiter de la vie.

Capital est donc devenu notre organisme. Sa valeur se mesure désormais en nombre d’années gagnées sur l’inéluctable dégradation des mécanismes biologiques de défense. Etrange compte à rebours. Etre aujourd’hui en bonne santé ne suffit donc plus, ce serait là folie de panier percé et oeuvre de piètre trésorier. Il nous faut prévoir les conséquences, anticiper les conjonctures défavorables (qui vous dit que vous n’avez pas une pathologie héréditaire ?) garantir les placements, pour s’assurer à long terme de la non apparition de risques futurs... De quoi se rendre malade. Car contre le vieillissement et la mort - quels mots vulgaires - l’apport grandissant de nouveaux capitaux, pour assainir et doper nos misérables bilans de santé morale et physique, finit par frôler l’OPA sur notre corps par les labos pharmaceutiques, les coachs en tous genres et les organismes d’assurance.

Certains capital-risqueurs seraient tentés de ne voir là qu’amusante et anecdotique tendance, continuant à multiplier les comportements dangereux, pratiquant un épicurisme irresponsable et négligeant toute épargne. Mais attention. Au rythme où vont les choses, la vie à crédit pourrait bien être stigmatisée comme péché mortel. Un mode de vie insouciant, et c’est la spirale de l’endettement... Est-il impensable d’imaginer que les titulaires de comptes débiteurs en espérance-vie se verront un jour refuser les produits d’assurance ou les remboursements de soins ? Une sentence capitale pour le coup.

Valérie Péan, Mission Agrobiosciencs, 18 juin 2008

18 juin 2008

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