18/02/2013
Vient de paraître. Dans le cadre des 18es Controverses européennes de Marciac. Février 2013

Quand les viticulteurs partent à l’assaut du marché chinois (témoignage)

JP Grangé. Photo V. Brill pour la MAA

Non, le produit de terroir n’est pas systématiquement synonyme de repli identitaire. Il peut aussi être un atout pour partir à la conquête de nouveaux marchés, y compris les plus lointains. Démonstration avec les Producteurs Plaimont, invités à témoigner de leur expérience lors des 18èmes Controverses européennes de Marciac, co-organisées les 1er et 2 août 2012 par la Mission Agrobiosciences et la Communauté de Communes Bastides et Vallons du Gers.
Sentant le vent tourner, cette coopérative viticole a opéré un virage à 180° à l’aube des années 80. Alors que le vin devenait moins un élément du quotidien qu’une boisson plaisir, elle a mis l’accent sur la production de vin en bouteille plus typé, et le développement de l’export. Un pari qui n’était pas gagné d’avance comme l’expliquent Olivier Bourdet Pees, directeur général des Producteurs Plaimont, et Jean-Pierre Grangé, chargé des relations avec l’Asie. Patience et goût du risque sont les maîtres mots de cette "success story".

Mission Agrobiosciences. Nous allons commencer cette journée avec un témoignage. Celui des producteurs Plaimont, ce groupement de producteurs viticoles créé en 1979. Quelques chiffres concernant ce dernier. Plaimont, ce sont 1000 producteurs, 5300 ha de vignes, 450 000 hl de production, avec plusieurs appellations AOC (Madiran, Pacherenc, Côtes de Saint-Mont, etc.), pour un chiffre d’affaires total de 70 millions d’euros. Plus de 50% de la production est exportée, en Europe, en Chine, en Malaisie, ou encore au Canada… C’est dire comme ce vin produit ici dans le Gers connaît un succès international.
Pour en parler, nous avons convié Olivier Bourdet Pees, directeur général des producteurs Plaimont, et Jean-Pierre Grangé, chargé des relations avec l’Asie et ancien directeur.

MAA. L’une des spécificités des vins de Plaimont est de jouer la carte du terroir et de l’authenticité. Pourriez-vous nous présenter cette coopérative viticole ?
Olivier Bourdet Pees. Plaimont est une union de coopératives chargée de piloter la production de trois caves : la section viticole de Terre de Gascogne - cave de Condom qui produit les IGP Gascogne, les vignerons de Saint-Mont qui produisent notamment les AOC Saint-Mont et l’IGP Comté Tolosan, et la cave du Madiran pour ce qui concerne le vin du même nom et le Pacherenc du Vic Bilh. Comme vous le voyez, nombreux sont nos vins sous signes officiels de qualité. Depuis notre création, nous avons en effet la volonté de mettre en avant des productions signées par leur origine. C’est là que réside notre plus-value.
La viticulture est un monde particulier. Dans les années 1970, nous avons eu le sentiment que la course à la productivité menait à une impasse. Le vin devenait moins un aliment consommé en quantité, qu’une boisson plaisir. Il fallait se donner les moyens de produire mieux. En 1979, alors que le festival de Jazz faisait ses tout premiers pas, nous avons pris une décision un peu folle : mettre nos vins d’origine en bouteille pour les commercialiser dans toute la France. Amère expérience. Comme l’a souvent raconté Jean-Luc Garnier, qui était alors le responsable commercial des réseaux traditionnels, les retours furent nombreux les premières années. Sur 200 000 bouteilles commercialisées, près de la moitié lui était retournée l’année suivante, les vins étant tantôt piqués, tantôt moisis.

Améliorer la qualité pour conquérir de nouveaux marchés

Il fallait amener les vignerons à privilégier la qualité au rendement. Ce vaste chantier, conduit dans les années 80, ne fut pas une mince affaire. Nous avons dû convaincre nos vignerons que nous étions capables, dans cette région, de produire des vins qualitativement plus ambitieux sans que cela ne remette en cause notre identité. En effet, il n’était nullement question de délaisser les cépages autochtones, d’abandonner les savoir-faire ou encore de s’affranchir des conditions climatiques, qui sont autant de spécificités locales. D’importants investissements ont été réalisés, pour restructurer le vignoble, moderniser les chais, optimiser les procédés de vinification puis de conservation… Parallèlement, nous avons développé la commercialisation de nos vins en bouteille.
De 200 000 cols en 1979, nous sommes passés à la fin des années 80 à 2 millions. Nous avons très vite pris conscience que notre avenir se trouvait hors de nos frontières ; le marché français ne pouvait suffire. Notre première mission a consisté à nouer des relations commerciales avec les pays d’Europe du Nord, en adaptant quelque peu nos produits pour qu’ils soient au goût des consommateurs. Pari gagnant : nous avons continué à développer la vente de vin en bouteilles pour atteindre 10 millions de cols dans les années 90, puis 30 millions en 2000. Cette expérience nous a montré qu’avec une bonne structuration, des moyens, de l’organisation, il était possible de développer l’export. Pourquoi, dès lors ne pas partir à la conquête des marchés nord américains voire même asiatiques ? Nous nous sommes donnés les moyens de tenter l’expérience, Jean-Pierre Grangé en témoignera. Aujourd’hui, nous produisons 40 millions de bouteilles ; 55 % de la production est destinée à l’export, principalement aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne ou en Belgique. Mais d’autres marchés progressent fortement à l’instar du marché chinois.

MAA. Plaimont a été la première coopérative viticole française à se lancer à la conquête des marchés asiatiques, non sans prises de risque. Comment cela s’est-il passé ?
Jean-Pierre Grangé. Olivier Bourdet Pees l’a expliqué : élargir notre champ d’action commercial était une nécessité. Historiquement, le premier périmètre de vente se situait entre ces trois points : Bordeaux, Toulouse et la chaîne des Pyrénées. Pour répondre aux besoins des producteurs qui consacraient une part croissante de leur production à la mise en bouteille, avec une hausse du nombre de cols produits de l’ordre de 20% par an, nous avons dû agrandir notre espace de vente. Nous nous sommes d’abord tournés vers l’Europe du Nord puis vers l’Amérique du Nord (Canada et certains états des Etats-Unis) et l’Asie.
Les premiers voyages vers l’Asie ont commencé dès 1987. Thaïlande, Cambodge, Vietnam, Malaisie, Singapour, Hong-Kong, Japon, Taïwan et les Philippines ont constitué nos premières destinations. Lors d’un second déplacement en 1989, nous opérons un crochet par la Chine. Les événements de la place Tian’anmen surviendront deux mois plus tard. En 1991, lors d’un nouveau séjour en Asie, nous décidons d’y retourner. Un souffle nouveau anime le pays : c’est le déclic.

Investir l’argent… que l’on est susceptible de perdre

Le conseil d’administration de Plaimont choisit de tenter l’expérience mais d’y investir l’argent que l’on est susceptible de perdre. Sage décision ! Nous avons effectivement perdu cet argent même si l’expérience fût riche d’enseignements. A l’époque, nous allions trois à quatre fois par an en Chine et le pays n’avait pas le même degré d’ouverture qu’aujourd’hui.
Néanmoins, en 1994, nous inaugurons notre première joint-venture, société mixte franco-chinoise, avec Miyun groupe situé au nord-est de Pékin. Nous leur envoyons le vin, ils le commercialisent. Mais ce partenariat ne comble pas complètement nos attentes. Nous poursuivons nos prospections pour faire la connaissance en 1997 de Wuliangye, un opérateur très influent. Fort de ses 10 000 points de vente, il est l’un des deux leaders du vaste marché de l’alcool de céréales, avec 150 millions de bouteilles vendues par an. Le contrat est co-signé entre Marc Censi, président du Conseil Régional de Midi-Pyrénées, et le gouverneur de la province du Sichuan. Wuliangye est un colosse, son entreprise s’étale sur plus de 5km2. La différence de poids entre nos deux structures est conséquente. Il s’avère difficile dans ce cas de nouer des relations durables avec un partenaire capable d’écouler à lui seul la totalité de notre production. Nous tentons, avec le ministère de l’agriculture, de regrouper plusieurs opérateurs viticoles afin d’accroître les volumes. Tout le monde est intéressé mais personne n’est véritablement moteur. Chacun attend qu’on le porte, qu’on joue le rôle de tracteur. Dans ces conditions, le projet échoue.

Un pays à fort potentiel de consommation

Nous n’en restons pas là. L’expérience Wuliangye montre clairement que la Chine constitue un marché porteur. D’autres facteurs nous conduisent à cette même conclusion. J’en citerai deux. Tout d’abord le fait que de grands opérateurs français, spécialistes des spiritueux, ne cherchent pas à développer la vente de ces produits sur le marché chinois mais celle de vin. Ensuite, dans les pays qui sont traditionnellement de gros buveurs d’alcool de céréales, les consommateurs se sont progressivement tournés vers des boissons moins fortes, classiquement la bière. Même chose en Chine qui est devenu le premier pays consommateur de bière au monde. Tous les brasseurs - Heineken, Calsberg, Budweiser, Tiger, etc. - se disputent le marché. Or le gouvernement chinois souhaite restreindre le volume de céréales distillées afin de réserver celles-ci à l’alimentation humaine et animale. Son credo : encourager la consommation de vin et la plantation de vignes. A ce jour la Chine se hisse au 7ème rang mondial des producteurs de vin. La consommation se développe tout autant que la production.

L’effet d’Artagnan

Nous étions donc à la recherche d’un opérateur spécialiste du marché de la bière, de l’alcool de céréales voire de l’alimentation. En 2004, nous trouvons le partenaire idéal, taillé à notre dimension : l’entreprise Langyatai, un opérateur en alcool de céréales situé dans la province du Shandong à Qingdao, une ville réputée pour sa bière. En 2004, une nouvelle joint-venture voit le jour entre nos deux structures : la Qingdao-Gascogne Wine Compagny. Pourquoi ce nom ? Lorsque vous demandez à un chinois quels sont les symboles de la France, il vous répond dans l’ordre : le Général De Gaulle, la tour Eiffel et les films de cape et d’épée. Il était évident qu’on ne pourrait utiliser ni le premier, ni le deuxième symbole. Par contre, pour ce qui est du troisième, nous avions une belle carte à jouer, avec notre d’Artagnan national. Ce dernier est venu orner les étiquettes des bouteilles destinées au marché chinois et nous avons opté pour le terme Gascogne.
Nous avons formé les 200 agents commerciaux de notre partenaire à la dégustation de nos vins et défini avec eux quels étaient les meilleurs accords avec les mets chinois. Aujourd’hui, nous faisons route commune.

Patience et engagement

Commercialiser ses produits en Chine n’est pas chose facile. Cela demande de la patience et une connaissance de la culture chinoise, riche de nombreux symboles. Négocier est tout un art qu’on ne maîtrise pas en quelques jours.
Par ailleurs, nos viticulteurs sont très investis dans la vie de leurs produits. Chacun d’eux doit une journée d’animation à Plaimont par hectare de vignes cultivé. L’objectif : permettre au producteur d’être en contact avec le consommateur, de voir sa réaction lors des dégustations, d’avoir des retours directs sur son produit. Une manière aussi de mieux connaître le marché, y compris la concurrence. Les viticulteurs sillonnent la France mais aussi la Belgique, l’Allemagne ou l’Angleterre. Depuis deux ans, ils vont en Chine.
Je rentre à peine d’un voyage dans ce pays avec dix viticulteurs. Nous avons organisé trois animations, dans trois provinces différentes. A chaque étape, nos partenaires nous ont réservé un accueil royal. Chaque soirée repas-dégustation regroupait 150 convives comprenant des distributeurs Alcools et Vins, des journalistes, des personnalités administratives et politiques. A peine rentrés, les viticulteurs qui m’accompagnaient souhaitent déjà repartir… Voilà qui illustre bien, je crois, notre démarche et notre expérience.

Dans le cadre des 18èmes Controverses européennes de Marciac, on peut lire notamment sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences  :

Témoignage d’Olivier Bourdet Pees et de Jean-Pierre Grangé, Producteurs Plaimont

Accéder à toutes les Publications : Alimentation et Société, Cancers et alimentation, Obésité : le corps sous pressions ; Le consommateur, l’alimentation et le développement durable et Lutte contre la faim : analyses, décryptages, leviers d’action. Des conférences-débats, tables rondes, points de vue et analyses afin de mieux cerner les problématiques sociétales liées au devenir de l’alimentation. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes les publications « l’Alimentation en question dans "Ça ne mange pas de pain !" (anciennement "Le Plateau du J’Go"). Les actes de l’émission de la Mission Agrobiosciences sur l’actualité de Alimentation-Société diffusée sur Radio Mon Païs (90.1), les 3ème mardi (17h30-18h30) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. Revues de presse et des livres, interviews et tables rondes avec des économistes, des agronomes, des toxicologues, des historiens... mais aussi des producteurs et des cuisiniers. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences

Accéder à toutes les publications de la Mission Agrobiosciences sur la Méditerranée : repères sur les enjeux agricoles et alimentaires, analyses géopolitiques. Editées par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes les publications « Agriculture et société » et Politique agricole commune : des publications pour mieux comprendre les ajustements successifs et les enjeux à l’horizon 2013. Des conférences-débats, tables rondes, points de vue et analyses afin de mieux cerner les problématiques sociétales liées au devenir de l’agriculture. Edités par le magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à tous les Entretiens et Publications : "OGM et Progrès en Débat" Des points de vue transdisciplinaires... pour contribuer au débat démocratique. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes les publications : Sur les relations entre l’homme et l’animal Pour mieux comprendre le sens du terme bien-être animal et décrypter les nouveaux enjeux des relations entre l’homme et l’animal. Avec les points de vue de Robert Dantzer, Jocelyne Porcher, François Lachapelle... Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences

Accéder à toutes les Publications : "Sciences-Société-Décision Publique"de la Conversation de Midi-Pyrénées. Une expérience pilote d’échanges transdisciplinaires pour éclairer et mieux raisonner, par l’échange, les situations de blocages « Science et Société » et contribuer à l’éclairage de la décision publique. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes les Publications : Science et Lycéens.
Les cahiers de l’Université des Lycéens, moment de rencontres entre des chercheurs de haut niveau, des lycéens et leurs enseignants. Des publications pédagogiques, agrémentées d’images et de références pour aller plus loin, qui retracent la conférence du chercheur et les questions des lycéens.
Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences

Accéder à toutes publications Histoires de... »- Histoire de plantes (gui, luzerne, betterave..), de races animales, de produits (foie gras, gariguette...) pour découvrir leur origine humaine et technique et donc mieux saisir ces objets. Editées par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes nos publications sur les Produits de terroir, appellations d’origine et indications géographiques. Pour tout savoir de l’avenir de ces produits, saisir les enjeux et les marges de manoeuvre possibles dans le cadre de la globalisation des marchés et des négociations au plan international. Mais aussi des repères sur les différents labels et appellations existants. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes les Publications : L’agriculture et les bioénergies. Depuis 2005, nos articles, synthèses de débats, revues de presse, sélections d’ouvrages et de dossiers concernant les biocarburants, les agromatériaux, la chimie verte ou encore l’épuisement des ressources fossiles... Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes les publications. Sur l’eau et ses enjeux. De la simple goutte perlant au robinet aux projets de grands barrages, d’irrigations en terres sèches... les turbulences scientifiques, techniques, médiatiques et politiques du précieux liquide. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder aux Carnets de Voyages de Jean-Claude Flamant. De Budapest à Alger, en passant par la Turquie ou Saratov en Russie, le regard singulier d’un chercheur buissonnier en quête de sens. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences

ACCEDER A LA TOTALITE DE LA REVUE DE PRESSE DE LA MISSION AGROBIOSCIENCES

RECEVOIR GRATUITEMENT LA LETTRE ELECTRONIQUE DE LA MISSION AGROBIOSCIENCES

Mot-clé Nature du document
A la une
BORDERLINE, LE PODCAST Une coproduction de la MAA-INRAE et du Quai des Savoirs

Écoutez les derniers épisodes de la série de podcasts BorderLine :
Générations futures : pourquoi s’en remettre à demain ?
Humains et animaux sauvages : éviter les lieux communs ?
Le chercheur-militant, un nouveau citoyen ?

Voir le site
FIL TWITTER Des mots et des actes
FIL FACEBOOK Des mots et des actes
Top