Mission Agrobiosciences. Nous allons commencer cette journée avec un témoignage. Celui des producteurs Plaimont, ce groupement de producteurs viticoles créé en 1979. Quelques chiffres concernant ce dernier. Plaimont, ce sont 1000 producteurs, 5300 ha de vignes, 450 000 hl de production, avec plusieurs appellations AOC (Madiran, Pacherenc, Côtes de Saint-Mont, etc.), pour un chiffre d’affaires total de 70 millions d’euros. Plus de 50% de la production est exportée, en Europe, en Chine, en Malaisie, ou encore au Canada… C’est dire comme ce vin produit ici dans le Gers connaît un succès international.
Pour en parler, nous avons convié Olivier Bourdet Pees, directeur général des producteurs Plaimont, et Jean-Pierre Grangé, chargé des relations avec l’Asie et ancien directeur.
MAA. L’une des spécificités des vins de Plaimont est de jouer la carte du terroir et de l’authenticité. Pourriez-vous nous présenter cette coopérative viticole ?
Olivier Bourdet Pees. Plaimont est une union de coopératives chargée de piloter la production de trois caves : la section viticole de Terre de Gascogne - cave de Condom qui produit les IGP Gascogne, les vignerons de Saint-Mont qui produisent notamment les AOC Saint-Mont et l’IGP Comté Tolosan, et la cave du Madiran pour ce qui concerne le vin du même nom et le Pacherenc du Vic Bilh. Comme vous le voyez, nombreux sont nos vins sous signes officiels de qualité. Depuis notre création, nous avons en effet la volonté de mettre en avant des productions signées par leur origine. C’est là que réside notre plus-value.
La viticulture est un monde particulier. Dans les années 1970, nous avons eu le sentiment que la course à la productivité menait à une impasse. Le vin devenait moins un aliment consommé en quantité, qu’une boisson plaisir. Il fallait se donner les moyens de produire mieux. En 1979, alors que le festival de Jazz faisait ses tout premiers pas, nous avons pris une décision un peu folle : mettre nos vins d’origine en bouteille pour les commercialiser dans toute la France. Amère expérience. Comme l’a souvent raconté Jean-Luc Garnier, qui était alors le responsable commercial des réseaux traditionnels, les retours furent nombreux les premières années. Sur 200 000 bouteilles commercialisées, près de la moitié lui était retournée l’année suivante, les vins étant tantôt piqués, tantôt moisis.
Améliorer la qualité pour conquérir de nouveaux marchés
Il fallait amener les vignerons à privilégier la qualité au rendement. Ce vaste chantier, conduit dans les années 80, ne fut pas une mince affaire. Nous avons dû convaincre nos vignerons que nous étions capables, dans cette région, de produire des vins qualitativement plus ambitieux sans que cela ne remette en cause notre identité. En effet, il n’était nullement question de délaisser les cépages autochtones, d’abandonner les savoir-faire ou encore de s’affranchir des conditions climatiques, qui sont autant de spécificités locales. D’importants investissements ont été réalisés, pour restructurer le vignoble, moderniser les chais, optimiser les procédés de vinification puis de conservation… Parallèlement, nous avons développé la commercialisation de nos vins en bouteille.
De 200 000 cols en 1979, nous sommes passés à la fin des années 80 à 2 millions. Nous avons très vite pris conscience que notre avenir se trouvait hors de nos frontières ; le marché français ne pouvait suffire. Notre première mission a consisté à nouer des relations commerciales avec les pays d’Europe du Nord, en adaptant quelque peu nos produits pour qu’ils soient au goût des consommateurs. Pari gagnant : nous avons continué à développer la vente de vin en bouteilles pour atteindre 10 millions de cols dans les années 90, puis 30 millions en 2000. Cette expérience nous a montré qu’avec une bonne structuration, des moyens, de l’organisation, il était possible de développer l’export. Pourquoi, dès lors ne pas partir à la conquête des marchés nord américains voire même asiatiques ? Nous nous sommes donnés les moyens de tenter l’expérience, Jean-Pierre Grangé en témoignera. Aujourd’hui, nous produisons 40 millions de bouteilles ; 55 % de la production est destinée à l’export, principalement aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne ou en Belgique. Mais d’autres marchés progressent fortement à l’instar du marché chinois.
MAA. Plaimont a été la première coopérative viticole française à se lancer à la conquête des marchés asiatiques, non sans prises de risque. Comment cela s’est-il passé ?
Jean-Pierre Grangé. Olivier Bourdet Pees l’a expliqué : élargir notre champ d’action commercial était une nécessité. Historiquement, le premier périmètre de vente se situait entre ces trois points : Bordeaux, Toulouse et la chaîne des Pyrénées. Pour répondre aux besoins des producteurs qui consacraient une part croissante de leur production à la mise en bouteille, avec une hausse du nombre de cols produits de l’ordre de 20% par an, nous avons dû agrandir notre espace de vente. Nous nous sommes d’abord tournés vers l’Europe du Nord puis vers l’Amérique du Nord (Canada et certains états des Etats-Unis) et l’Asie.
Les premiers voyages vers l’Asie ont commencé dès 1987. Thaïlande, Cambodge, Vietnam, Malaisie, Singapour, Hong-Kong, Japon, Taïwan et les Philippines ont constitué nos premières destinations. Lors d’un second déplacement en 1989, nous opérons un crochet par la Chine. Les événements de la place Tian’anmen surviendront deux mois plus tard. En 1991, lors d’un nouveau séjour en Asie, nous décidons d’y retourner. Un souffle nouveau anime le pays : c’est le déclic.
Investir l’argent… que l’on est susceptible de perdre
Le conseil d’administration de Plaimont choisit de tenter l’expérience mais d’y investir l’argent que l’on est susceptible de perdre. Sage décision ! Nous avons effectivement perdu cet argent même si l’expérience fût riche d’enseignements. A l’époque, nous allions trois à quatre fois par an en Chine et le pays n’avait pas le même degré d’ouverture qu’aujourd’hui.
Néanmoins, en 1994, nous inaugurons notre première joint-venture, société mixte franco-chinoise, avec Miyun groupe situé au nord-est de Pékin. Nous leur envoyons le vin, ils le commercialisent. Mais ce partenariat ne comble pas complètement nos attentes. Nous poursuivons nos prospections pour faire la connaissance en 1997 de Wuliangye, un opérateur très influent. Fort de ses 10 000 points de vente, il est l’un des deux leaders du vaste marché de l’alcool de céréales, avec 150 millions de bouteilles vendues par an. Le contrat est co-signé entre Marc Censi, président du Conseil Régional de Midi-Pyrénées, et le gouverneur de la province du Sichuan. Wuliangye est un colosse, son entreprise s’étale sur plus de 5km2. La différence de poids entre nos deux structures est conséquente. Il s’avère difficile dans ce cas de nouer des relations durables avec un partenaire capable d’écouler à lui seul la totalité de notre production. Nous tentons, avec le ministère de l’agriculture, de regrouper plusieurs opérateurs viticoles afin d’accroître les volumes. Tout le monde est intéressé mais personne n’est véritablement moteur. Chacun attend qu’on le porte, qu’on joue le rôle de tracteur. Dans ces conditions, le projet échoue.
Un pays à fort potentiel de consommation
Nous n’en restons pas là. L’expérience Wuliangye montre clairement que la Chine constitue un marché porteur. D’autres facteurs nous conduisent à cette même conclusion. J’en citerai deux. Tout d’abord le fait que de grands opérateurs français, spécialistes des spiritueux, ne cherchent pas à développer la vente de ces produits sur le marché chinois mais celle de vin. Ensuite, dans les pays qui sont traditionnellement de gros buveurs d’alcool de céréales, les consommateurs se sont progressivement tournés vers des boissons moins fortes, classiquement la bière. Même chose en Chine qui est devenu le premier pays consommateur de bière au monde. Tous les brasseurs - Heineken, Calsberg, Budweiser, Tiger, etc. - se disputent le marché. Or le gouvernement chinois souhaite restreindre le volume de céréales distillées afin de réserver celles-ci à l’alimentation humaine et animale. Son credo : encourager la consommation de vin et la plantation de vignes. A ce jour la Chine se hisse au 7ème rang mondial des producteurs de vin. La consommation se développe tout autant que la production.
L’effet d’Artagnan
Nous étions donc à la recherche d’un opérateur spécialiste du marché de la bière, de l’alcool de céréales voire de l’alimentation. En 2004, nous trouvons le partenaire idéal, taillé à notre dimension : l’entreprise Langyatai, un opérateur en alcool de céréales situé dans la province du Shandong à Qingdao, une ville réputée pour sa bière. En 2004, une nouvelle joint-venture voit le jour entre nos deux structures : la Qingdao-Gascogne Wine Compagny. Pourquoi ce nom ? Lorsque vous demandez à un chinois quels sont les symboles de la France, il vous répond dans l’ordre : le Général De Gaulle, la tour Eiffel et les films de cape et d’épée. Il était évident qu’on ne pourrait utiliser ni le premier, ni le deuxième symbole. Par contre, pour ce qui est du troisième, nous avions une belle carte à jouer, avec notre d’Artagnan national. Ce dernier est venu orner les étiquettes des bouteilles destinées au marché chinois et nous avons opté pour le terme Gascogne.
Nous avons formé les 200 agents commerciaux de notre partenaire à la dégustation de nos vins et défini avec eux quels étaient les meilleurs accords avec les mets chinois. Aujourd’hui, nous faisons route commune.
Patience et engagement
Commercialiser ses produits en Chine n’est pas chose facile. Cela demande de la patience et une connaissance de la culture chinoise, riche de nombreux symboles. Négocier est tout un art qu’on ne maîtrise pas en quelques jours.
Par ailleurs, nos viticulteurs sont très investis dans la vie de leurs produits. Chacun d’eux doit une journée d’animation à Plaimont par hectare de vignes cultivé. L’objectif : permettre au producteur d’être en contact avec le consommateur, de voir sa réaction lors des dégustations, d’avoir des retours directs sur son produit. Une manière aussi de mieux connaître le marché, y compris la concurrence. Les viticulteurs sillonnent la France mais aussi la Belgique, l’Allemagne ou l’Angleterre. Depuis deux ans, ils vont en Chine.
Je rentre à peine d’un voyage dans ce pays avec dix viticulteurs. Nous avons organisé trois animations, dans trois provinces différentes. A chaque étape, nos partenaires nous ont réservé un accueil royal. Chaque soirée repas-dégustation regroupait 150 convives comprenant des distributeurs Alcools et Vins, des journalistes, des personnalités administratives et politiques. A peine rentrés, les viticulteurs qui m’accompagnaient souhaitent déjà repartir… Voilà qui illustre bien, je crois, notre démarche et notre expérience.
Dans le cadre des 18èmes Controverses européennes de Marciac, on peut lire notamment sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences :
- Quelles sont les nouvelles figures de l’agriculteur moderne en Europe ?. Table ronde avec Raúl Compés López, professeur en économie et sciences sociales (Univ. de Valence, Espagne), Tom Lines, économiste et consultant (Royaume-Uni), Csaba Sandor Tabajdi, député européen (Hongrie), et Bart Verhoef, agriculteur.
- L’agriculture de conservation, une technicité désavouée Témoignage de Gérard Rass, Secrétaire général de l’APAD, l’Association pour la Promotion d’une Agriculture Durable.
- La modernité, c’est la rénovation des institutions Témoignage d’Istvan Feher, professeur d’économie agricole et de marketing à l’Université de Gödöllő (Hongrie), ancien secrétaire d’Etat à l’agriculture et au développement rural de Hongrie.
Accéder à toutes les interventions, tables rondes et témoignages édités dans le cadre des 18èmes Controverses européennes de Marciac - "L’agriculture a-t-elle le droit d’être moderne ?"