26/07/2013
Contribution aux 19èmes Controverses européennes de Marciac (30-31 Juillet 2013)

Tenir compte du temps de l’entreprise !

Photo : Marie Delefortrie

Dans cette contribution, Marie Delefortrie, qui interviendra le 31 juillet aux 19èmes Controverses européennes de Marciac, critique le droit de l’environnement. Pour elle, ce droit qui se veut désintéressé, c’est-à-dire au-delà des considérations économiques, « n’est actuellement pas durable ».
Car cette approche normative « exclusive », à force de ne pas tenir compte des conséquences économiques et sociales, pourrait bien exclure les petites entreprises, qui elles ne peuvent pas faire l’économie de la conjoncture économique dans laquelle elles sont imbriquées. La SAF plaide alors pour des « démarches d’ensemble », que « l’environnement fasse partie à part entière de la stratégie d’entreprise », afin que « les exigences économiques et environnementales se renforcent les unes les autres ».
Une contribution de nature à lancer les débats lors des cercles d’échange…

Le droit est un ensemble de règles qui traduit à un moment donné ce que veut la société. L’environnement en tant que valeur montante, valeur sacrée pour une société de plus en plus urbaine et coupée de ses racines, apparaît pour beaucoup comme étant un intérêt général supérieur à tous les autres, dont l’intérêt général économique. Ce « toujours plus normatif » au nom de l’environnement n’est cependant pas un gage d’efficacité des normes. En effet, l’efficacité passe par la durabilité et le droit de l’environnement n’est actuellement pas durable. A quoi servent des normes qui entraînent des déserts économiques ?

Qualifié par la doctrine il y a quelques années de « jungle de normes », le droit de l’environnement est un droit jeune, né dans les années 1970 à l’échelle internationale. C’est un droit dynamique et conquérant qui est organisé autour d’une finalité spécifique : la conservation de l’environnement dans un but qui se veut désintéressé, c’est-à-dire que l’on protège l’environnement pour lui-même. Les considérations économiques ne peuvent interférer dans l’accomplissement de cet objectif. Ce droit se caractérise également par le recours en priorité à des règles de droit public. Les mesures de police, les contrats administratifs, les servitudes d’utilité publiques, les expropriations (avec l’idée d’une déclaration d’utilité publique en faveur de la biodiversité évoquée par le projet de loi biodiversité) permettent à l’Etat de jouer son rôle de gardien de l’environnement au nom des générations présentes et futures. L’environnement, en tant que patrimoine commun des êtres humains, exige alors un haut niveau de protection grâce aux différents principes qui structurent le droit de l’environnement : principes pollueur-payeur, prévention, précaution, participation du public et développement durable. L’ensemble de ces principes diffuse progressivement dans toutes les branches du droit, donnant ainsi aux droits intégrés une orientation nouvelle.

Le choix de la norme – c’est-à-dire de la règle qui sera respectée par l’ensemble des chefs d’entreprise agricole pour protéger l’environnement – est un choix politique qui correspond à un choix de société. L’Etat, producteur de normes, est considéré comme le mieux placé pour imposer des comportements et des pratiques culturales aux acteurs économiques pour atteindre un haut niveau de protection de l’environnement. L’avalanche de normes est une constante en droit de l’environnement, aussi parce que 85% de ce droit au moins est d’origine communautaire et suppose donc une transposition constante des directives et règlements européens. Et cette dynamique s’illustre par de multiples textes :

  • Les prochaines lois sur la biodiversité et les paysages, sur la responsabilité écologique
  • Une ordonnance récente de transposition d’une multitude de textes communautaires dans le domaine des installations classées
  • Sans compter les nombreux décrets, arrêtés et circulaires et guides méthodologiques dans tous les domaines de ce droit.

    Les fameux « mille-feuilles juridiques », la superposition des règles sur les mêmes parcelles agricoles, l’incohérence entre les différents schémas de planification, l’intégration de plus en plus forte du vivant dans les documents d’urbanisme, producteurs de servitudes d’utilité publiques non indemnisables sont les expressions les plus marquantes de cette réalité normative.

    Au final, ce sentiment permanent d’insécurité juridique, d’instabilité, de course en avant du toujours plus traduit dans un principe nouveau celui de non régression du droit de l’environnement. Parce que le droit de l’environnement et ses normes doivent s’adapter en permanence aux évolutions de l’environnement et aux connaissances scientifiques, ils n’ont aucune vocation à la permanence. Le temps de l’entreprise agricole a bien du mal à s’adapter au temps particulier de la norme environnementale, dont la durée limitée de vie est accentuée par l’octroi d’aides publiques limité dans le temps. L’entreprise qui a besoin de lisibilité doit intégrer des éléments d’instabilité dans sa stratégie alors même que les normes environnementales ignorent le caractère économique à part entière de l’activité de production agricole. Les investissements qui découlent des normes environnementales nouvelles mais aussi des normes relatives au bien-être animal ne sont pas envisagés sous l’angle de la rentabilité économique mais uniquement sous l’angle du gain environnemental. Quelle structure économique à part les plus grandes peuvent se permettre d’engager des milliers voire des millions d’euros sans gain économique ?

    Cette approche normative exclusive a pour conséquence une méfiance de plus en plus forte à l’égard de toute démarche volontaire caractérisée par des chartes de qualité, des contrats de droit privé, des partenariats entre acteurs de droit privé. Les personnes de droit privé, morales et physiques, n’apparaissent pas comme pouvant assumer leur responsabilité environnementale d’elles-mêmes. Dans ces conditions, les démarches locales ont bien du mal à être considérées comme des démarches intéressantes pour préserver l’environnement.

    La SAF considère que le droit de l’environnement doit devenir durable, c’est-à-dire qu’il doit suivre une approche équilibrée, avec comme objectif à la fois l’économie, le social et l’environnement. Concrètement « l’adoption d’une démarche de développement durable nécessite que les conséquences économiques, sociales et environnementales de chaque décision soient prises en compte afin de trouver un équilibre entre elles. Il faut à la fois : développer la croissance et l’efficacité économiques : c’est le pilier économique ; satisfaire les besoins humains et répondre aux objectifs d’équité et de cohésion sociale : c’est le pilier social ; préserver, valoriser, voire améliorer l’environnement et les ressources naturelles pour l’avenir : c’est le pilier écologique » (Stratégie nationale de développement durable).

    Dès lors que l’environnement fera partie à part entière de la stratégie d’entreprise, dès lors qu’un travail sera fait pour que les exigences environnementales ne déséquilibrent pas l’activité agricole, pour que les exigences économiques et environnementales se renforcent les unes, les autres, la SAF considère que la protection de l’environnement sera efficace car durable. Cette démarche suppose que soient affichés des objectifs de résultats, laissant aux agriculteurs la liberté dans les moyens mais aussi une liberté dans l’investissement rentable. L’investissement écologique doit être réfléchi en termes de rentabilité économique et sociale afin de s’inscrire dans la dynamique d’entreprise. Enfin, il convient de veiller à donner la parole à tous ceux qui sur le terrain expérimentent, testent, échangent en réseau pour trouver une forme d’agriculture marquée par une démarche constante de progrès. La réorganisation des agriculteurs vers une approche plus collective de leur métier devrait être favorisée. Cette approche environnementale collective participera à l’évolution de l’activité agricole vers plus de durabilité et donc d’intégration de l’environnement. En effet, préserver l’eau, la biodiversité, l’air, le sol et leurs interrelations exige des démarches d’ensemble sur les territoires qui cependant n’annihile pas les volontés individuelles d’innovation, de changement et d’adaptation à un contexte économique fluctuant et une demande alimentaire qui devrait croitre dans des proportions fortes dans les années qui viennent.


SUIVEZ LA MISSION AGROBIOSCIENCES SUR FACEBOOK
et SUR TWITTER

par Carole Zakine, responsable de Pole Réflexion de la SAF, et Marie Delefortrie, secrétaire générale de la SAF et agricultrice en Picardie

Accéder à toutes les publications de la Mission Agrobiosciences sur les thèmes de  :
Alimentation et Société ; Cancers et alimentation ; Obésité ; Consommation & développement durable ; Lutte contre la faim ; Crises alimentaires ; "Ça ne mange pas de pain !" ; Méditerranée ; Agriculture et société ; Politique agricole commune ; OGM et Progrès en Débat ; Les relations entre l’homme et l’animal ; Sciences-Société-Décision Publique ; Science et Lycéens ; Histoires de... ; Produits de terroir ; Agriculture et les bioénergies ; Les enjeux de l’eau ; Carnets de Voyages de Jean-Claude Flamant.

ACCEDER A LA TOTALITE DE LA REVUE DE PRESSE DE LA MISSION AGROBIOSCIENCES

RECEVOIR GRATUITEMENT LA LETTRE ELECTRONIQUE DE LA MISSION AGROBIOSCIENCES

Mot-clé Nature du document
A la une
SESAME Sciences et société, alimentation, mondes agricole et environnement
BORDERLINE, LE PODCAST Une coproduction de la MAA-INRAE et du Quai des Savoirs

Écoutez les derniers épisodes de la série de podcasts BorderLine :
Où sont passés les experts ?
Précarité alimentaire : vers une carte vitale de l’alimentation ?

Rejoignez-nous lors du prochain débat, le mardi 23 avril 2024.

Voir le site
FIL TWITTER Des mots et des actes
FIL FACEBOOK Des mots et des actes
Top