12/05/2011
La revue de presse commentée de la Mission Agrobiosciences. 12 mai 2011

"Une sécheresse exceptionnelle, mais heureusement, tout n’est pas joué."

Responsable du service agrométéorologie de Météo France, Emmanuel Cloppet a bien voulu répondre à nos questions concernant l’épisode de sécheresse que traverse actuellement la France et ses impacts sur l’agriculture. Pour la Mission Agrobiosciences, il détaille les caractéristiques du phénomène, revient sur les périodes comparables du passé, rappelle ce que prévoient les modèles climatiques et indique les conséquences présentes et à venir pour que le secteur agricole anticipe, notamment avec la recherche agronomique , les stratégies les plus adaptées. Surtout, il nous rappelle que tout n’est pas encore joué par rapport au scénario catastrophe de 1976. Reste à espérer un été... pourri.

En premier lieu, qu’est-ce qu’une sécheresse et n’en existe-t-il qu’une sorte ?
Emmanuel Cloppet : La sécheresse désigne bien entendu un déficit en eau, mais il en existe trois types qui peuvent ou non se conjuguer. On distingue la sécheresse météorologique, qui désigne le déficit des précipitations ; la sécheresse hydrologique qui se manifeste au niveau des nappes, des lacs et autres réservoirs naturels ; et la sécheresse agricole, qui nous intéresse tout particulièrement ces derniers temps, et qui se traduit par un déficit en eau des sols pénalisant les cultures et les rendements. Or, actuellement, nous connaissons à la fois une sécheresse météorologique, hydrologique et agricole.
Deux phénomènes se sont en effet superposés : d’une part, le manque de précipitations qui se creuse depuis janvier, avec quatre mois consécutifs extrêmement sec. Il y a là réellement une anomalie, avec un déficit de précipitations de l’ordre de 50% sur l’année 2011. Ainsi, certains département n’ont quasiment pas reçu une goutte d’eau de tout le mois dernier ! Dans de nombreuses zones agricoles, sur les quatre derniers mois, la pluviométrie cumulée se situe en-dessous de 100 mm : pire que dans un climat semi-aride.... Nous sommes vraiment très loin des standards.
D’autre part, nous connaissons des températures très clémentes depuis deux mois qui ont provoqué un surcroît d’évapotranspiration. Cela assèche les sols. Dans le sud-ouest, s’y est même ajouté le vent. D’où la dégradation très rapide des quantités d’eau dans le sol.

Quels sont les effets sur les cultures ?
D’abord, leur développement a été très rapide. Elles souffrent du manque d’eau mais en plus, elles sont très en avance par rapport à une année normale. Dans le cas de la prairie par exemple, l’herbe a beaucoup poussé et vite, mais de ce fait, elle a consommé très vite la ressource en eau. On considère aujourd’hui que le niveau des ressources d’eau dans le sol est quasiment celui que l’on trouve classiquement en juin-juillet. D’où deux scénarios : soit on a de la chance et il va pleuvoir au mois de juin, voire pendant l’été - on peut avoir un été "pourri" ! - et dans ce cas, il n’y aura pas de souci majeur, soit les précipitations restent faibles, et alors, nous connaîtrons un épisode semblable à celui de 1976 ou de 2003, sans aucune repousse d’herbe pendant la période estivale.

Par rapport à la grande sécheresse de 1976, justement, où en sommes-nous aujourd’hui ?
Les outils dont nous disposons pour suivre les ressources en eau des sols nous permettent de caractériser l’année en cours par rapport aux références historiques. A la date d’aujourd’hui, dans beaucoup de régions, il s’agit de l’année la plus sèche observée depuis un demi-siècle. La sécheresse est donc plus marquée encore qu’en 1976. Mais attention, je dis bien "à la date d’aujourd’hui". Il ne faut pas sombrer dans le catastrophisme. Il faut rappeler que la sécheresse de 76 s’était mise en place certes à peu près à la même période, mais s’est caractérisée par des mois de mai et juin du même acabit. Or, nous n’avons pas la capacité de dire s’il y aura ou pas de l’eau dans les semaines et les mois à venir. Heureusement, tout n’est pas joué.

A ceci près qu’il y a peut-être plus de cultures irriguées aujourd’hui qu’à l’époque, et que les conséquences sont donc plus marquées pour l’agriculture...
Oui. On peut estimer que si la tendance se prolonge, le manque d’eau sera tel pour l’ensemble des usages que les possibilités d’irrigation seront limitées cet été... Et d’ores et déjà, le potentiel de rendement sur le blé et le colza est entamé, car pour ces semis de printemps, l’implantation racinaire a été médiocre.

Comment interprétez-vous ces successions d’épisode de sécheresse ces dernières années ?
En fait, on ne peut pas relier à une évolution climatique des phénomènes très exceptionnels que l’on ne rencontre que tous les 20, 30 ou même 100 ans, et ce pour des raisons statistiques. Les échantillons sont vraiment trop faibles pour en déduire quelque chose en terme de climat. Se baser sur les événements de 1976, de 2003 et de cette année pour dire qu’il y a un réchauffement climatique, soyons très clair, ce n’est pas de la science. En revanche, c’est très cohérent avec ce qu’on anticipe pour les décennies à venir. A savoir non seulement des températures qui augmentent mais des phénomènes extrêmes plus fréquents. Tous les modèles convergent pour dire que la fréquence et l’intensité des sécheresses vont fortement augmenter dans les décennies qui viennent.

Mais n’y a-t-il pas eu par le passé des décennies semblables ?
Il y a une variabilité climatique naturelle, avec des décennies plus froides, et d’autres plus chaudes. On sait en général l’expliquer. A celle-ci, nous sommes en train de rajouter le signal du changement climatique. Sur dix ou vingt ans, il est difficile de faire des projections, car les deux types de variations climatiques sont d’ordre de grandeur assez similaire à cette échelle. En revanche, plus l’échéance augmente - l’horizon 2050 ou 2100, par exemple - plus le signal du changement climatique est fort par rapport à la variabilité naturelle.

Comment l’agriculture peut-elle s’adapter ?
Toutes les projections nous orientent vers des étés plus chauds et plus secs, ce dont on n’était pas encore sûrs il y a 10 ans. Du coup, certaines cultures seront moins adaptées que d’autres. En particulier le maïs, très gourmand en eau. En revanche, d’autres espèces résistent mieux au stress hydrique, comme le blé qui a un bon potentiel pour s’adapter à des étés chauds et secs.
Quant à la production fourragère pour les animaux, nous avons participé à un projet de recherche avec l’Institut de l’élevage, l’INRA et Arvalis (Ndlr : Institut du végétal - blé-céréales), le projet ACTA Changement Climatique 2006-2009, où nous avons montré qu’avec le changement climatique, il y avait une dynamique de production assez différente pendant l’année, avec un pic de production plus marqué au printemps, un creux important l’été, et une meilleure reprise à l’automne. Conséquence : il faut plus de stocks pour l’été, et moins pour l’hiver. Sur l’année, on se maintient donc car ce qu’on perd d’un côté, on le gagne de l’autre. D’autre part, nous avons considéré qu’il allait vraisemblablement falloir diminuer le nombre de bêtes à l’hectare sur une prairie à l’horizon de la fin du siècle. Et nous avons identifié que la luzerne avait un bon potentiel à la fois pour s’adapter aux nouvelles conditions climatiques et pour nourrir le bétail.

Pour que l’agriculture et l’élevage fassent face à des épisodes de sécheresse plus fréquents, nous avons donc besoin, plus que jamais, de recherches agronomiques...
Effectivement. Par exemple, pour améliorer la connaissance des sols. L’impact d’une sécheresse agricole est en effet très différent d’une exploitation à l’autre, voire d’une parcelle à l’autre. Ainsi, selon le Centre Technique des Oléagineux (CETIOM), le potentiel de rendement du colza est actuellement très affecté sur les sols superficiels. En revanche, en sols profonds, tout n’est pas perdu. Cela passe aussi par la mise au point de variétés plus résistantes au stress hydriques et au climat du futur. Ou encore par des conduites culturales différentes : des semis plus précoces, par exemple.

Etes-vous plus particulièrement sollicité actuellement ?
Il y a d’une part une demande médiatique très forte, focalisée sur la direction de la climatologie. L’un de mes collègues a enchaîné une quarantaine d’interviewes ce mois-ci...
Pour ma part, les demandes viennent surtout des instituts techniques agricoles et de l’Inra, qui ont besoin de tendances sur les semaines et les mois à venir. Quant aux agriculteurs, ils s’adressent de manière privilégiée aux centres départementaux de météorologie, qui leur sont bien plus utiles actuellement.

Propos recueillis par Valérie Péan, Mission Agrobiosciences, 12 mai 2011
Lire en complément la revue de presse de la Mission Agrobiosciences Sécheresse et agriculture : ça chauffe pour les agriculteurs et les éleveurs du 10 mai 2011.

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Une interview de Emmanuel Cloppet, Météo France

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