28/03/2013
Revue de presse du 28 mars 2013

Un dossier sur l’intelligence des plantes, au risque de bêtifier ?

Ce mois-ci, Science et Vie faisait sa couverture sur « L’intelligence des plantes enfin révélée »… Derrière le sensationnalisme de l’accroche, une étude qui remonte à 1983, suivie de quelques découvertes sur les facultés des plantes. Entre « révélations » scientifiques qui datent et tendances anthropomorphiques, le mensuel grand public a du moins le mérite de chercher à montrer la complexité des mécanismes du règne végétal, voire de faire réfléchir à des questions qui ont été classées sans autre forme de procès.

Tout sauf végétatif…

« Changements rapides induits par un dommage dans la chimie de feuilles d’arbres : la preuve d’une communication entre les plantes ». C’est le titre d’une étude de Ian T. Baldwin et Jack C. Schultz, publiée en 1983 dans la très sérieuse revue Science. En résumé, après avoir arraché une certaine quantité de feuilles d’un peuplier ou d’un érable, l’arbre produit une plus grande concentration de tanins, qui jouent le rôle d’armes chimiques défensives contre certains parasites. La réaction ne s’arrête pas là : l’arbre effeuillé produit également un signal chimique qui se diffuse dans l’air, et au contact duquel les autres arbres de la même espèce se mettent également à produire une plus grande concentration de tanins, ce qui les prépare à une attaque éventuelle. Les tanins sont bien connus pour être toxiques pour les insectes, mais Jacques Mitsch répertorie dans son documentaire L’Esprit des Plantes le cas d’acacias qui en ont produit en concentration suffisante pour tuer en masse des bovidés africains, les grands koudous, qui ingéraient leurs feuilles. Science et Vie résume cette communication chimique entre végétaux par cette formule : « les peupliers parlent ! ». Le dossier du mensuel passe en revue d’autres cas où, par exemple, une espèce de tabac sauvage agressée par des chenilles « envoie des messages chimiques aux prédateurs de ses agresseurs », etc.

Concédons que ce dossier de Science et Vie n’est pas inutile dans une société très marquée par le cartésianisme, où même les animaux sont parfois considérés comme des automates. Et où les plantes sont souvent envisagées tout en bas de l’échelle du vivant, alors que leur absence de mobilité les oblige justement à recourir à des processus extrêmement complexes pour se défendre contre leurs prédateurs, lutter pour leur place au soleil, contre la gravité, etc. Ainsi, elles ont généralement beaucoup plus de gènes que l’homme pour répondre métaboliquement aux dangers. D’où une « extrême sensibilité végétale, […] comparable, voire supérieure à celle des animaux ». Les plantes ont en effet « plus de 700 sortes de capteurs sensoriels différents », et agissent « en modifiant sans cesse leur forme et leur composition chimique ». Bien que ces mouvements soient trop lents, ou trop subtils, pour être remarqués par les grosses bêtes que nous sommes.

Mais une « intelligence »… artificielle ?

Les scientifiques partisans de l’existence d’une « intelligence végétale » appuient leur propos de multiples exemples, qui sont, selon eux, à rapprocher de comportements humains : le besoin de sommeil (une plante que l’on empêche de « dormir » pendant deux semaines meurt, après que ses feuilles aient jauni…), les réactions au stress, une sensibilité à la musique… Pour le botaniste de renom Stefano Mancuso, de nombreux végétaux distinguent aussi le soi du non-soi, et les membres de leur espèce des plantes « étrangères », avec des stratégies de concurrence digne des rivalités familiales et des guerres entre tribus. Les végétaux auraient également une « mémoire » : après que son pot ait été soulevé cinq à six fois, le mimosa pudica, dont les feuilles se replient habituellement au moindre contact ou mouvement inhabituels, a « appris » qu’être soulevé n’est pas dangereux, et cesse alors d’adopter cette réaction de défense.

De là à affirmer : « Qui l’eût cru ! Les plantes ont le sens de l’ouïe, elles savent se mouvoir et communiquer, elles ont l’esprit de famille et elles ont même de la mémoire ! En un mot : ce sont des êtres "intelligents" », il y a un gouffre aisément franchi par le magazine Science et Vie. A croire qu’encore une fois, on perd le sens des mots au nom de la vulgarisation scientifique et d’une sourde envie de faire sensation. Résultat : des métaphores et des expressions anthropomorphisantes, telles que « les vieux pins font preuve de solidarité » ou encore une voix off dans le documentaire de Jacques Mitsch qui affirme que des « antilopes [sont] sciemment assassinées » par des acacias… "Sciemment" ? Les plantes sont certes des êtres vivants très complexes, mais… ont-elles pour autant une conscience ?

Certains scientifiques vont jusqu’à chercher où pourrait se situer l’équivalent du cerveau dans les plantes. Ils envisagent un « cerveau décentralisé » au bout de chaque racine… ce que Charles Darwin n’était pas loin de penser : « ce n’est guère exagéré que de dire que l’extrémité du radicule se comporte comme le cerveau d’un des animaux de bas niveau » écrit-il en 1880 en conclusion de son livre Le Pouvoir du Mouvement chez les Plantes. Comme les neurones, les radicules semblent en effet travailler en réseau. A tel point que l’universitaire botaniste de renom Frantisek Baluska, considérant que les similitudes entre racines et cerveau vont très loin sur le plan structurel et moléculaire, est partisan d’une « neurobiologie végétale ».

Tous les scientifiques ne partagent cependant pas ce point de vue. Certains s’opposent même vigoureusement à cette terminologie d’intelligence végétale. Au-delà du débat entre spécialistes, est-elle vraiment indispensable ? Et n’a-t-on pas plus à perdre qu’à gagner, en choisissant de comparer des organismes aussi dissemblables qu’une plante et un animal, voire un être humain ? Le groupe des « plantes » étant déjà extrêmement hétérogène, il n’est peut-être pas très utile d’ajouter encore à la confusion. Et puis, parler d’intelligence dès lors que l’on est confronté à la complexité du vivant ne témoigne-t-il pas d’un certain ethnocentrisme appliqué à des phénomènes sophistiqués d’une toute autre nature ?

Aux racines de futures innovations ?

Dans le documentaire L’Esprit des Plantes, après qu’on nous ait longuement montré que, mis dans le noir et au doux son d’une berceuse, « le petit mimosa s’endort », on en vient à être presque choqué lorsque le même est soudainement broyé pour les besoins d’une expérience. Car l’anthropomorphisation mène à l’empathie. Et du coup, cette question surgit : si les plantes sont intelligentes, alors ne souffrent-elles pas ? Une éventualité qui serait fort épineuse pour nombre de végétariens.

Quoi qu’il en soit, les tenants et aboutissants d’une éventuelle intelligence des plantes sont avant tout d’ordre philosophique et éthique. Du côté de la science, après avoir reconnu que nos machines ont été inspirées de la Nature, et non l’inverse – ce que Edgar Morin résume par « l’homme ne fait que remettre partiellement en activité une intelligence qui avait déjà organisé et créé les êtres vivants, y compris lui même : son intelligence redécouvre les inventions, processus, techniques, trouvailles qui, il y a deux milliards d’années ont déjà constitué l’organisation cellulaire. L’intelligence de l’homme semble provenir d’une fuite dans les conduites de l’intelligence inconsciente » – les possibles applications des découvertes sur les plantes s’avèrent nombreuses.

Dans le domaine de l’agriculture, des chercheurs travaillent depuis longtemps à stimuler les mécanismes d’auto-défense des plantes et la coopération entre différentes espèces. Plus globalement, des scientifiques tels Stefano Mancuso souhaiteraient créer « des capteurs naturels hypersensibles qui nous renseigneront sur notre environnement ». Les plantes, qui constituent 99% de la biomasse du vivant, pourraient aussi constituer un nid à idées pour l’intelligence artificielle… avec des « animaloïds », moitié plantes, moitié machines. Histoire de réconcilier Descartes avec la Nature.

Une revue de presse de Diane Lambert-Sébastiani, stagiaire à la Mission Agrobiosciences et étudiante à l’IEP de Toulouse.


Sources :

Science et Vie ; Développement Durable magazine ; Recherche & Technologie Flash ; Arte.

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