Guerre budgétaire
Charles Carrasco, pour Europe 1, dresse un bilan chiffré et détaillé des réformes budgétaires en discussion à Bruxelles, en matière d’agriculture. Premier élément notable, le diminution proposée par la Commission européenne pour la période 2014-2020 : de 420,6 milliards d’euros (2007-2013) à 386 milliards. Dans le détail, les aides directes versées aux agriculteurs accuseraient une baisse de 6% environ, tandis que celles consacrées au développement rural (deuxième pilier) serait « rabotées » de 10%.
Alors que « la France, l’Espagne, l’Irlande, la Roumanie, l’Autriche ou le Portugal sont partisans d’un maintien d’une politique ambitieuse de la PAC […], d’autres pays sont davantage favorables à une réduction des budgets comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Suède, le Danemark ou encore l’Allemagne ». On le sait, la France, grande puissance agricole, est la principale bénéficiaire de cette politique. L’article précise ainsi qu’elle pourrait « perdre près de 700 millions d’aides directes par an ».
Mais au-delà des chiffres, la ligne de faille qui se profile n’est-elle pas aussi le reflet de deux conceptions divergentes de l’agriculture ?
Soutenir l’emploi agricole
La remise en cause des budgets de la PAC et de la politique des fonds de cohésion aurait « des conséquences lourdes en termes d’emplois, de développement durable et de croissance » a indiqué le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll (Le Figaro). Pour celui-ci, « il faut faire évoluer la logique très libérale de la PAC pour y intégrer de nouveaux objectifs sur l’emploi, l’environnement et une répartition plus juste des aides » (AFP).
Dans cet objectif, la France a proposé plusieurs aménagements de la PAC. Parmi eux, la dégressivité des aides directes, qui prévoit que les premiers hectares soit davantage primés que les autres. Cette mesure devrait notamment favoriser l’élevage indique le Figaro, tandis que l’AFP souligne que ce sont sur les premiers hectares « que l’emploi est le plus intensif ».
Si la presse centre son attention sur ce qu’il se passe ici, précisons que la question de l’emploi est un élément de préoccupation d’autres pays européens. A l’occasion des 18e Controverses européennes de Marciac, Raul Compes, spécialiste du monde rural à l’Université de Valence (Espagne) rappelait que, en Espagne, « en l’espace de dix ans, près d’un quart des exploitations [avait] disparu », et que le nombre d’actifs agricoles avait baissé de 20%. Avant de conclure que l’agriculteur moderne était… un survivant.
Considérer l’agriculture comme n’importe quel autre secteur économique ?
Alors que toute la presse suit, heure après heure, les négociations des 27 à Bruxelles, le Monde propose un « portrait » de l’agriculture allemande riche d’enseignements, au titre un brin provocateur : « PAC : comment l’agriculture allemande est passée devant la française ? » On savait déjà que l’industrie agroalimentaire de nos voisins avait détrôné celle de l’Hexagone. Voilà maintenant qu’elle nous « dame le pion sur les marchés internationaux » !
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« Si l’Allemagne exporte plus que la France, elle importe également davantage » souligne, chiffres à l’appui, Frédéric Lemaître. Pour le journaliste, alors que l’agriculture ne pèse que pour 1% du PIB de l’Allemagne et que les « agriculteurs constituent un lobby bien moins important qu’en France », la force de ce secteur vient peut-être du fait que ce dernier est « traité sur le même plan que les autres activités économiques. ». Comprenez : « si l’Allemagne aide l’agriculture, c’est pour qu’elle soit compétitive et qu’elle exporte. Pas pour qu’elle maintienne les emplois existants ».
Ainsi on apprend, par exemple, que dans les filières porcines et avicoles, la tendance est à la concentration : réduction du nombre d’exploitations et augmentation de la taille des élevages, avec toujours plus de bêtes. En l’espace de dix ans, la filière porcine a perdu la moitié de ses exploitations ; « le quart des éleveurs porcins ont dû se reconvertir entre 2005 et 2009 ».
Voilà qui explique d’une autre manière que le sujet divise tant les dirigeants européens…
Revue de presse de la Mission Agrobiosciences, 23 novembre 2012
Sources :
- Budget de l’UE : la PAC va-t-elle trinquer ? Charles Carrasco, Europe 1, 22 novembre 2012.
- Agriculture : la PAC doit sortir de sa "logique très libérale", selon Le Foll Anne Chaon, AFP, 21 novembre 2012.
- Le Foll : « La réduction de la PAC n’est pas acceptable » Eric De La Chesnais, le Figaro, 19 novembre 2012.
- Budget de la PAC : cultiver l’emploi Charente libre, 21 novembre 2012
- PAC : comment l’agriculture allemande est passée devant la française Frédéric Lemaître, Le Monde 22 novembre 2012.
Lire sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement) : - Quelles sont les nouvelles figures de l’agriculteur moderne en Europe ?. Table ronde avec Raúl Compés López, professeur en économie et sciences sociales (Univ. de Valence, Espagne), Tom Lines, économiste et consultant (Royaume-Uni), Csaba Sandor Tabajdi, député européen (Hongrie), et Bart Verhoef, agriculteur. 18e Controverses européennes de Marciac "L’agriculture a-t-elle le droit d’être moderne ?", août 2012. Télécharger le document PDF
- La future PAC à l’épreuve des bouleversements du monde Les Actes de la 17ème édition des Controverses européennes de Marciac, août 2011. Télécharger le document PDF, 35 pages
- Industries agroalimentaires : l’Allemagne, nouveau "number one". Revue de presse de la Mission Agrobiosciences, 26 avril 2011
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