10/09/2015
Tribune libre. 10 septembre 2015
Mots-clés: Elevage

Contre la crise de l’élevage, essayez l’équitable...

Un autre regard porté sur la crise que traversent les éleveurs français, par Tanguy Martin, bénévole au sein de l’association Ingénieurs sans frontières, groupe Agricultures et souveraineté alimentaire.
Trop de normes, plaide la FNSEA. Pas si sûr, répond l’auteur dans cette tribune publiée par la Mission Agrobiosciences. Avec cette proposition : et si la France, à l’instar des pays du Sud, adoptait la démarche du commerce équitable ?


Mesdames, messieurs du gouvernement et de la FNSEA, essayez l’équitable !

Les éleveurs français qui manifestent actuellement sont confrontés depuis quelques temps à un phénomène économique que connaissent bien les paysans des pays dits « en voie de développement » : ils vendent leur production à un prix inférieur à celui qui leur permettrait de vivre. Et ces éleveurs français, comme leurs confrères du « Sud », réclament des prix minimum garantis leur assurant que leur travail, indubitablement dur, assure au moins leur subsistance et, si possible, des conditions de travail et de vie décentes.

Le système de prix minimum garanti est, par ailleurs, la pierre angulaire du système de commerce équitable Fairtrade, mis en œuvre en France par l’association Max Havelaar. Le commerce équitable est un des moyens inventés pour protéger les paysans de la machine infernale du commerce international, mondialisé et libéralisé. L’étude « Qui a le pouvoir ? » de la Plate-forme française pour le commerce équitable (PFCE), publiée en 2015, démontre très bien que les règles actuelles de l’économie mondiale amènent à des phénomènes de concentration dans les filières agricoles. Ainsi, les paysans et les consommateurs, très nombreux et peu organisés, ont une capacité presque nulle de négocier des prix face à quelques acteurs de l’import-export, de la transformation ou de la distribution. Les prix ne sont pas rémunérateurs pour les paysans, et encore trop chers pour une grande partie des consommateurs. D’où la nécessité d’étendre les pratiques volontaires du commerce équitable, notamment au « Nord », et pourquoi pas d’en inscrire certaines dans la loi...

Contrat moral

La bonne nouvelle pour les éleveurs français, c’est que la PFCE, alliée au réseau Initiatives Pour une Agriculture Citoyenne et Territoriale (InPACT) et à la Fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB), vient de publier une Charte du commerce équitable local, adaptée aux organisations de producteurs françaises. Un outil pour sortir les éleveurs de la crise ? Certainement … à un petit détail près. Le principe du commerce équitable est une rémunération juste et des conditions de travail décentes en contrepartie de pratiques démocratiques au sein des organisations de producteurs et d’améliorations des pratiques agricoles en matière d’environnement. On peut résumer caricaturalement cela ainsi : « un prix juste et stable contre des normes sociales et environnementales ». Ce contrat moral est d’autant plus intéressant qu’à long terme les paysans sont les premiers bénéficiaires d’un environnement préservé et d’une organisation démocratique du travail.

La faute aux normes, vraiment ?

Mais c’est tout l’inverse de ce qui est réclamé par le principal syndicat d’agriculteurs, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), et qui vient d’être accepté par le gouvernement : « rester dans le libéralisme avec moins de normes sociales et environnementales ». Il y a évidemment une divergence d’analyse entre la FNSEA et les mouvements du commerce équitable. La FNSEA estime que ce sont les normes qui induisent une distorsion de concurrence et plombent ainsi la compétitivité de l’élevage français.
On peut être dubitatif pour deux raisons. Premièrement, il est peu probable que les sociétés européennes accepteront d’abaisser leur législation à un niveau permettant d’être compétitif avec, par exemple, la production chinoise de porc à laquelle les éleveurs porcins bretons font face. On peut bien sûr promouvoir la qualité de la viande et du lait français. Mais avec une production de l’élevage supérieure à la demande intérieure en France, il faudra bien vendre une partie de cette production sur des marchés où le « made in France » ne pèsera pas lourd face au critère prix. Et, attention, le prix souvent élevé des produits équitables est autant lié au manque d’économie d’échelle le long de ces filières qu’aux cahiers des charges à respecter.

D’autant plus que les pratiques agricoles françaises ne sont pas aussi exemplaires que les responsables de la FNSEA veulent bien le dire dans les médias. C’est le deuxième objet de doute sur l’analyse de la crise. Sans parler des algues vertes en Bretagne, une étude du Bureau d’analyse sociétale et d’information citoyenne (BASIC) estime que pour un euro de lait produit en France, il y a l’équivalent de 28 centimes d’externalités négatives prises en charge par la société. Ces externalités représentent le coût des mesures d’évitement, de lutte ou d’adaptation environnementales et sanitaires induites par la filière laitière française dont plus de 85 % des impacts sont liés à la seule production. Cette étude montre aussi que ces externalités peuvent être abaissées de 11 centimes en passant à l’agriculture biologique.

Revoyez vos analyses

Or, le choix de pratiques environnementales peut aussi être directement intéressant pour les paysans. Le programme Praiface mené par des groupes d’éleveurs de l’Ouest, montre, qu’en plus des bénéfices environnementaux, l’adoption des pratiques de pâturage intégrale tournant permet aux éleveurs d’augmenter leurs marges en baissant leur temps de travail. De plus, le centre de gestion associatif AFOCG Vendée-Maine-et-Loire, analysant les résultats économiques de ses adhérents, montre que les éleveurs laitiers dans l’Ouest de la France résistent mieux aux aléas climatiques lorsqu’ils sont en pâturage intégral ou en agriculture biologique.

Nous ne pouvons que recommander aux éleveurs français et au ministère de revoir leurs analyses. Ce ne sont pas les normes qui grèvent le revenu des agriculteurs mais un modèle menant à produire plus que nous en avons besoin tout en détruisant notre environnement et plongeant les agriculteurs dans des spirales d’endettement puisqu’il faut investir fortement pour maintenir ce niveau de productivité. Ce ne sont pas les normes qui rendent moins compétitive notre agriculture mais une organisation de marché facilitant le pouvoir de quelques intermédiaires et des pouvoirs publics souhaitant se désengager de la régulation.

Mesdames, messieurs du gouvernement et de la FNSEA, plutôt que d’encourager nos éleveurs à s’endetter plus pour gagner moins, tout en hypothéquant l’environnement et notre santé, essayez l’équitable !

Tanguy Martin. Septembre 2015

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Par Tanguy Martin, Ingénieurs sans frontières groupe Agricultures et souveraineté alimentaire.

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