Pas de demi-mots…
Première difficulté, les glissements sémantiques à l’œuvre. Alors que la transition alimentaire fait référence à « l’augmentation de la part protéique et de la part lipidique d’origine animale dans un régime alimentaire », le terme est souvent employé pour désigner les tensions que risque d’entraîner l’augmentation de la population mondiale et l’accroissement de la demande en produits animaux, insiste Jean-Pierre Poulain. Il revêt une forte polysémie.
De son côté, Yves Martin-Prével invite à faire la distinction entre protéines animales et produits animaux. Dans les débats sur la transition alimentaire, le terme de protéines revient sans cesse, cristallisant à lui seule toute la problématique. Pour Yves Martin-Prével, cela témoigne d’une « idéalisation de la protéine, particulièrement de la protéine animale ». Et d’une erreur : l’homme ne mange pas des protéines, mais bien des produits animaux.
Derrière les tendances de fond, de fortes divergences
Deuxième difficulté, les grandes tendances mondiales masquent des situations très contrastées d’un pays à l’autre, et même au sein d’un pays. Comprenez, s’il est vrai que la consommation mondiale en produits animaux va s’accroître, particulièrement dans les pays d’Asie (Chine, Inde), le phénomène va se traduire différemment selon les préférences culturelles des populations. Ici on va plutôt privilégier le poulet, là le bœuf, ailleurs le poisson… En l’absence de données précises sur les consommations alimentaires (et non leurs disponibilités), la plus grande prudence est de rigueur.
Le prix comme forte ligne de tension
Troisième enseignement de cette table ronde, les lignes de tension ne sont pas toujours celles que l’on croit. Alors que l’accroissement de la demande focalise l’attention, c’est la question du prix qui est centrale. La réduction de la consommation en produits animaux dans les pays du Nord, que certains experts appellent de leurs vœux, ne passera pas tant par une prise de conscience écologique qu’une réalité bien prosaïque : dans un système agroindustriel caractérisé par de faibles marges, que compensent de gros volumes, quelques centimes au kilo pèsent lourd dans la balance. Que le prix des matières premières d’origine animale flambe, et les industriels vont vite chercher des ingrédients de substitution.
Du fait de la crise économique qui touche le Portugal, les industriels ont commencé à introduire des protéines végétales dans les préparations alimentaires à base de viande hachée, pour ne pas trop impacter le prix de vente final. Pour Serge Michels, c’est une réalité dont il faut absolument tenir compte.
De manière plus générale, il lance à la fin de cette table ronde cette mise en garde sur la perte de valeur que connaît aujourd’hui l’alimentation. « Le système de guerre actuel des prix conduit à une destruction de la valeur de l’alimentation (…). On ne pourra pas innover, développer de nouveaux aliments sans créer de la valeur. (…) Cela signifie implicitement que le produit doit avoir un valeur objective comme symbolique ».