24/02/2015
Territoires et société. 24 février 2015.

Les tournants de l’aménagement du territoire (publication originale)

Pour des territoires vivants... Faut que ça déménage ! C’est sous cet intitulé un brin provocateur, que la Mission Agrobiosciences a organisé en juillet 2014, les 20èmes Controverses européennes de Marciac. Avec cet objectif clair : rompre avec les logiques habituelles de penser le territoire. Reste ceci : déménager les territoires suppose tout de même de savoir comment ceux-ci ont été et sont aménagés. Retour sur les objectifs et les évolutions des politiques menées dans ce domaine avec Nathalie Prouhèze, chargée de mission des politiques territoriales et rurales européennes au sein du Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET).

Mission Agrobiosciences. D’abord, il y eut l’Etat grand aménageur, lorsque, dans les années 1950, Paris était entouré d’un désert. Alors, les choses étaient simples. Produit d’un espace national, le territoire se pensait au singulier. Les politiques conduites à son endroit avaient pour objectifs l’équilibre territorial et l’égalité sociale.
Aujourd’hui, la situation n’est plus aussi tranchée. On a le sentiment que les actions se sont fragmentées en une myriade de réalités et d’acteurs, sur fond de crise économique, de délocalisation, de décentralisation, de libéralisation. A tel point que, en 2008, le quotidien Libération titrait « L’Etat déménage le territoire » [1] pour illustrer ce flou. Que s’est-il passé depuis 2008 ? Peut-on encore parler d’aménagement du territoire ?

Nathalie Prouhèze. Pour répondre à votre question, j’aimerais revenir sur cet article de Libération qui avance l’idée d’un désengagement de l’Etat dans les territoires ruraux. Il y a effectivement aujourd’hui un sentiment d’abandon du monde rural par l’Etat ; nous en avons pleinement conscience. Un rapport d’information de l’Assemblée nationale sur l’évaluation de la politique d’aménagement du territoire en milieu rural [2] souligne ainsi que la décision prise en avril 2008, dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) [3], de renoncer à la mission d’ingénierie publique de l’Etat en direction des collectivités territoriales, a été perçue par les élus locaux comme un abandon. Ce sentiment existe, il faut l’entendre.
Peut-on pour autant affirmer que l’Etat se désengage des territoires ruraux ? Certainement pas. Plusieurs illustrations. En rejoignant Marciac, je suis passée devant une maison de santé. Ces structures pluridisciplinaires, développées sur l’ensemble des territoires ruraux, ont été introduites dans le code de la santé publique en 2007. Aujourd’hui, près de 300 maisons de santé parsèment l’Hexagone, garantissant ainsi à chaque citoyen l’égalité de l’accès aux services de santé. D’autres initiatives ont vu le jour comme les pôles d’excellence rurale, dont l’objectif est de soutenir des projets innovants, créateurs d’emplois directs et indirects en milieu rural [4], ou encore le Plan France Très Haut Débit [5]. Citons enfin, le Réseau rural français, développé en co-pilotage par le CGET et le ministère de l’Agriculture dans le cadre du règlement européen, et qui a pour objet de décloisonner les acteurs ruraux, d’organiser des échanges de bonnes pratiques et de capitaliser les expériences innovantes en milieu rural.
De plus, j’aimerais insister sur un point : les modes de vie ont changé. D’une part, les individus se déplacent bien plus aujourd’hui qu’hier ; d’autre part, la vie, y compris professionnelle, se pense en réseaux grâce aux nouvelles technologies. Tout ceci modifie profondément notre rapport à l’espace et nous oblige à adapter les politiques publiques en conséquence. Nous sommes à une époque charnière où l’on ressent fortement la moindre présence physique de l’Etat dans les territoires mais pas nécessairement les atouts qu’apportent tous ces changements sociétaux et ces évolutions technologiques.

Mission Agrobiosciences. Pour autant, une liste d’aides ne fait pas une politique. Quel est le projet politique qui sous-tend tous ces plans, ces dispositifs d’aide, ces instruments ? Aujourd’hui, on ne parle plus de politique d’aménagement du territoire mais de projet de contractualisation entre l’Etat et les collectivités territoriales. La contractualisation, c’est l’instrument désormais privilégié, la nouvelle vision de l’Etat ?
N. Prouhèze. La contractualisation n’est pas un instrument nouveau. Si elle figure à l’agenda politique et médiatique, c’est tout simplement parce que les contrats de plan Etat-Région 2015-2020 (CPER) sont en cours de préparation. Ils se composent d’une priorité transversale, l’emploi, et de six volets thématiques - mobilité multimodale, enseignement supérieur, recherche et innovation, transition écologique et énergétique, numérique, innovation, filières d’avenir et usine du futur, territoires.
La contractualisation n’est cependant pas le seul outil. Ainsi, la Datar puis le CGET sont en charge de l’élaboration, de la coordination, et de la mise en œuvre de l’accord de partenariat français. Elaboré par chaque Etat membre dans le cadre de la décentralisation de la gestion des fonds européens, cet accord fixe une stratégie inter-fonds pour la période 2014-2020. Il existe, dans ce cadre, des outils proposés aux acteurs territoriaux dans les règlements européens.

Mission Agrobiosciences. Deux questions pour conclure. Premièrement, le site Internet du CGET ne mentionne que les politiques de la ville. Sans vouloir opposer ville et rural, on peut tout de même s’étonner de l’absence de ce dernier. Deuxièmement, la Datar a laissé place au CGET. Concrètement, nous sommes passés d’une Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale au Commissariat général à l’égalité des territoires. Certes, le sigle Datar n’était pas des plus poétiques, mais l’intitulé avait le mérite d’être clair. « L’égalité des territoires » apparaît tout au contraire comme un concept flou, aux accents de prophétie auto-réalisatrice. Comment l’entendez-vous ?
N. Prouhèze. Le CGET est issu du regroupement de la Datar, du SGCIV (Secrétariat général du comité interministériel des villes) et de l’Acsé (Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances). La structure est très jeune, puisqu’elle a été officiellement créée en mars 2014. Les équipes se mettent en place et la communication est en train de se structurer. La politique de la ville, qui a fait l’objet d’une loi récente et de nouveaux périmètres d’intervention, occupe certes une place importante sur notre site Internet, mais le rural n’est pas absent : un espace dédié aux Assises des ruralités et un autre aux CPER ont ainsi été ouverts. L’appel à projet centres-bourgs a également été bien relayé.
Comme vous le rappelez, il n’est plus question d’opposer urbain et rural. La nouvelle Commissaire générale du CGET, Marie-Caroline Bonnet-Galzy, préfère utiliser le terme d’écosystèmes territoriaux, mettant ainsi l’accent sur les complémentarités des espaces. De même, dans notre travail, nous privilégions l’approche par bassin de vie, et non suivant une dichotomie ville/campagne.
J’en arrive au concept d’égalité territoriale. L’aménagement du territoire a évolué au fil des ans pour s’adapter aux priorités et aux besoins : d’abord une politique d’aménagement, puis de compétitivité territoriale et, enfin, d’attractivité régionale. Aujourd’hui, l’objectif qui est le nôtre vise l’égalité des territoires. Cette notion a fait couler beaucoup d’encre et je ne doute pas qu’elle fera controverse aujourd’hui. Pour nous, elle constitue un objectif à atteindre, celui de l’égalité entre les citoyens quel que soit leur lieu de vie. Ceci passe par la réduction des inégalités territoriales, telles qu’elles ont été définies par Eloi Laurent dans son rapport [6], à savoir des inégalités entre des personnes, déterminées par leur appartenance à des territoires différents. Pour autant, réduire les inégalités territoriales ne signifie pas homogénéiser les territoires ni conduire la même politique partout ! L’objectif d’égalité implique, parfois, au contraire, une inégalité de traitement pour que l’équilibre puisse s’opérer. Un exemple concret : dans le domaine du numérique, le jeu de l’offre et de la demande ne sera pas suffisant pour que l’ensemble du territoire français accède au haut débit. Du fait de leur faible densité de population, certaines zones resteront en marge du système. C’est là que les puissances publiques doivent prendre le relais pour permettre une égalité d’accès au numérique et aux services. Rétablir cet équilibre là, c’est tendre vers une forme d’égalité des territoires.

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Lire aussi, dans le cadre des 20èmes Controverses européennes de Marciac :

Les Controverses européennes de Marciac sont co-organisées par la Mission Agrobiosciences et la Communauté de Communes Bastides et Vallons du Gers, avec le soutien de la Région Midi-Pyrénées, du Conseil général du Gers, et, pour cette 20ème édition, de l’Inra et de la FNCuma. En savoir plus sur le programme des 20ièmes Controverses européennes de Marciac Pour des territoires vivants... Faut que ça déménage !

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Par Nathalie Prouhèze, chargée de mission des politiques territoriales et rurales européennes au sein du Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET).

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[2Rapport accessible en intégralité à cette adresse : http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i4301-tI.asp

[3La dite révision avait pour objectif de réformer l’Etat, et prévoyait notamment le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Elle a été remplacée en 2012 par la MAP – la « Modernisation de l’action publique ».

[6"Vers l’égalité des territoires – Dynamiques, mesures, politiques". Ministère de l’égalité des territoires et du logement, février 2013.


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