L’Europe et la PAC. « Des marges de manœuvre sont possibles »
Relecture des échanges par Lucien Bourgeois, économiste
L. Bourgeois. Pour ces 17èmes Controverses de Marciac, la Mission Agrobiosciences a souhaité ouvrir le champ des questionnements et sortir la Politique Agricole Commune (PAC) du débat « agricolo-agricole » habituel. Le titre de ces deux journées était clair : « L’Europe, l’agriculture et le citoyen ». Le sous-titre précisait « La future PAC à l’épreuve des grands bouleversements du Monde ». Cette posture nous a permis d’élargir le champ de la discussion en direction de trois axes : le Monde, l’Europe et l’économie générale.
Reculer pour mieux penser
Puisque la période estivale est souvent une période fertile pour acter des décisions politiques et économiques désagréables [1], il était judicieux de commencer ces 17èmes Controverses en parlant de la crise économique et de ses conséquences sur la construction européenne. La première table ronde nous a rappelé qu’il est illusoire de parler de la PAC sans aborder préalablement les grands enjeux économiques et qu’une monnaie unique, sans coordination efficace des politiques économiques, pouvait conduire à de grandes difficultés. L’Euro est à la fois une solution et un problème pour les pays de la zone concernée. Dans ce contexte, la PAC n’est pas une affaire entre chacun des Etats membres et Bruxelles. Elle est œuvre commune, et c’est pour cette raison qu’il importe de mieux connaître les motivations de tous nos partenaires. Or, du fait même de notre conception duale à l’Europe, nous connaissons bien peu la réalité des autres Etats membres. D’où l’importance des témoignages apportés hier. Avec l’intervention de Tom Lines, nous avons pu mieux saisir la distance qui nous sépare de l’opinion dominante au Royaume-Uni. Les regards apportés depuis la Hongrie, la Grèce, la Belgique et l’Espagne nous ont permis de mieux appréhender la diversité interne dans l’UE.
L’UE n’est pas un pré carré isolé du reste du monde. Il était important à cet égard que l’on parle de la Tunisie et de la Syrie, ces pays très proches dont on se soucie pourtant peu. J’ajouterai qu’il est également primordial de comprendre les évolutions en cours aux Etats-Unis. Il est irréaliste de penser une nouvelle PAC qui ne prenne pas en compte les rapports avec les pays du Sud de la Méditerranée et les Etats-Unis.
Ombres et lumières de la Pac et de la construction européenne
Citons quelques éléments remarquables des discussions entendues en commençant par les aspects positifs. Tout d’abord, Michel Foucher a rappelé, avec raison, que l’UE avait bien joué son rôle de rassemblement des pays d’Europe centrale après l’implosion de l’Union soviétique. Ensuite, alors que l’on se plaint souvent que "tout se décide à Bruxelles", Jean-Christophe Bureau a montré que, tout au contraire, le Gouvernement français pouvait entreprendre de nombreuses réformes sans attendre des décisions improbables des 27 pays de l’Union. De leurs côtés, Marie-Hélène Aubert et François Purseigle nous ont tout deux convié à regarder autrement le réel en pointant l’extraordinaire inventivité des agriculteurs pour trouver des solutions techniques, commerciales ou structurelles à leurs problèmes. Enfin, Alex Miles a parlé de l’incroyable progression des marchés fermiers et de pleins vents aux Etats-Unis, nation que l’on croyait pourtant le temple des producteurs de matières premières !
Ceci étant dit, les intervenants ont également souligné plusieurs aspects négatifs. Ainsi, Philippe Martin a fait remarquer que désormais, selon lui, les Présidents des Agences de notation ont plus de pouvoirs que les Présidents de la République ! Jacques Le Cacheux et Michel Dévoluy ont insisté sur les dangers que peut représenter l’Euro en l’absence d’une politique économique concertée. Sur un versant plus agricole, Jean-Christophe Bureau a insisté sur le rôle contre-productif des aides aussi bien pour la compétitivité commerciale que pour la répartition des revenus. Reste, en dernier lieu, la question de l’emploi que Jacques Berthelot a évoquée, non sans regretter que l’on n’utilise pas davantage les aides pour promouvoir ce secteur.
Retrouver des marges de manœuvre
Cette première journée illustre bien la démarche suivie par la Mission Agrobiosciences et les raisons pour lesquelles j’ai accepté de faire partie de son Conseil d’analyse stratégique et scientifique. La science ne doit pas être invoquée pour imposer des choix sociétaux inacceptables. Elle doit servir à ouvrir des voies nouvelles. Margaret Thatcher avait l’habitude de dire « There is no alternative ». Je pense, au contraire, qu’il y a toujours des marges de manœuvre possibles. Mais cela suppose des débats pour en discuter, des processus démocratiques pour en décider et, in fine, des gouvernements qui mettent en œuvre les stratégies ainsi élaborées.
Voilà pourquoi il est important d’offrir des espaces pour le débat. Car ce dernier permet tout à la fois de dépasser certaines évidences et d’apporter des connaissances. Trop de personnes perdent actuellement leurs points de repères. Les commentaires sur l’actualité font penser à la chanson de Jacques Brel sur la bêtise. « Mais dis moi comment fais tu / Pour tisser de tes mains / Tant de malentendus / Et faire croire au crétin / Que nous sommes vaincus ».
A ce titre, je m’étonne par exemple que l’on fustige le cas de la Grèce alors que les déficits budgétaire et commercial américains sont relativement plus importants que ceux de ce pays et devraient donc nous inquiéter bien davantage.
Permettez-moi ici une dernière réflexion à propos de la démarche de la Mission Agrobiosciences, pour rappeler que la grande originalité de celle-ci est de savoir allier culture et débat. Ce colloque se tient dans le cadre du festival international « Jazz de Marciac » ; il ne se concevrait pas non plus sans les Bataclown qui ne manquent pas d’ironiser sur les doctes propos. L’art et la culture sont indispensables pour faciliter le débat et l’imagination. Ce sont là les méthodes de la Mission Agrobiosciences. Elles s’avèrent efficaces.
Distinguer les vessies des lanternes
Ceci étant précisé, l’exemple de la Grèce n’est pas un cas isolé. Ainsi, les débats actuels sont difficiles car l’information est partielle, à court terme et souvent insuffisante. Rares sont ceux qui se souviennent par exemple de ces quelques faits qui devraient pourtant être connus de tous. Tout d’abord, l’UE reste la première puissance économique de la planète avant les Etats-Unis et avec un PIB deux fois plus important que celui de la Chine. Ensuite, un kilo de céréales sur six produit dans le monde est actuellement utilisé pour des besoins industriels. Non seulement ce sixième pourrait nourrir la bagatelle d’un milliard d’individus mais en outre, il a plus de conséquences sur la volatilité des prix que les importations toujours infimes de la Chine. Troisième point, la famine du Darfour aurait pu être atténuée si l’UE n’avait pas commis l’erreur de supprimer ses stocks pour des raisons budgétaires. Toujours sur cette question du droit à l’alimentation, l’aide alimentaire aux plus pauvres concerne 40 millions de personnes aux Etats-Unis et leur coûte 100 milliards de dollars au moment où l’UE s’apprête à réduire cette ligne budgétaire en la passant de 500 millions d’Euros à 100 ! Enfin, on dit que certains pays comme l’Egypte ne parviendront jamais à assurer leur sécurité alimentaire alors que ce pays a le même ratio de terres cultivables par habitant que la Chine qui a parfaitement réussi en ce domaine.
N’y aurait-il donc à tout ceci aucune alternative comme le répétait souvent Margaret Tatcher ? J’évoquais précédemment l’existence de marges de manœuvre. Cela suppose, selon moi, de sortir du cadre néolibéral qui nous fait croire que moins les politiques interviennent, mieux l’économie se porte ! La crise actuelle montre au contraire que les marchés ne peuvent remplir leur rôle que dans un cadre stabilisé par la puissance régalienne des Etats.
L’Europe aux abonnés absents
La crise économique et alimentaire semble fragiliser la construction européenne au profit de réactions nationales désordonnées. Jacques Le Cacheux émettait hier l’hypothèse du syndrome grec, trois siècles avant notre ère ; les pays européens semblent croire qu’ils pourront profiter de leur richesse acquise sans avoir besoin de dominer le monde. Dès lors, souhaitons que l’UE ne soit pas dans la situation des gouvernants de l’Empire byzantin en 1453 qui préféraient parler du sexe des anges plutôt que d’améliorer la défense de la ville de Constantinople assiégée par la puissance montante d’alors, la Turquie. Ce fut aussi l’époque où la Chine se replia sur elle même. Cette nation s’est désormais ouverte au reste du monde…
Moralité : il ne serait pas interdit à l’UE d’élaborer une stratégie politique autonome et consensuelle en rapport avec sa puissance économique. Vaste objectif pour nos débats.
Intervention réalisée le 4 août 2011 dans le cadre des 17e Controverses européennes de Marciac : "La future PAC à l’épreuve des grands bouleversements du Monde".
Dans le cadre de ces 17e Controverses, on peut également lire sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences :
- Quand la crise économique et financière révèle les faiblesses de la construction européenne.. Un dialogue entre les économistes Jacques Le Cacheux et Michel Dévoluy, suivi de la réaction de Jean-Pierre Tillon.
- Géopolitique européenne : "Il nous manque un Lula !". Un dialogue entre le géographe Michel Foucher et le journaliste Thomas Ferenczi.
- Etonnantes controverses : la future PAC à l’épreuve des grands bouleversements du Monde. Une chronique de Jean-Claude Flamant, président de la Mission Agrobiosciences.
- Quand les citoyens nourrissent le débat sur les devenirs agricoles, alimentaires et territoriaux européens.. L’ensemble des contributions de citoyens, en réponse à l’appel à contribution lancée en février 2011.