08/04/2014
Agriculture, alimentation et société. Vient de paraître 8 avril 2014

Le modèle allemand, un moyen pratique pour ne pas se poser de questions

L. Bourgeois. Copyright P. Assalit

Les Allemands par-ci, le modèle germanique par là… A lire et écouter hommes politiques et médias, nous ne pesons pas lourd face à nos voisins d’Outre-Rhin qui nous battraient à plate couture sur le terrain économique, de la croissance, du PIB, du déficit... Vraiment ?
C’était sans compter sur l’œil vigilant de Lucien Bourgeois, économiste et chroniqueur de la Mission Agrobiosciences. Le fin limier a su remettre les chiffres à leur place pour en finir, une bonne fois pour toutes (?), avec le complexe français d’auto-dénigrement permanent.

Le modèle allemand, un moyen pratique pour ne pas se poser de questions

En ce début d’année 2014, l’Allemagne est à la mode. Hommes politiques et journalistes ne parlent que des succès de notre brillant voisin, le meilleur élève de la classe européenne. Pourquoi alors les gouvernements de droite comme de gauche tardent-ils tant à appliquer ces merveilleuses recettes ? Cela rappelle le début des années 80, où tous ne juraient que d’excellence à la japonaise. Il fallait copier le système Toyota du « juste à temps », des « boîtes à idées »… Pas de chance, c’est pile à ce moment-là que le pays du Soleil levant a vu éclater sa bulle financière (janvier 1990). Depuis, la croissance insolente du Japon a été stoppée net et cela fait 24 ans que l’on attend le rebond. Ce n’est pas faute de réinjecter de l’argent dans l’économie, au point que la dette publique du pays atteint désormais 245% du PIB ! Une paille…
Rien de semblable pour l’Allemagne. Pas si sûr. On nous répète à l’envi que la croissance y est deux fois plus rapide qu’en France. C’est vrai en 2013, où la performance germanique est de 0,4% et celle de la France… de 0,2%. Une différence minime, dans l’épaisseur du trait. D’où l’intérêt de faire le calcul sur une période longue. Entre 1982 et 2012, la croissance du PIB allemand a été de 73% et celle de la France de 73% aussi. La grande différence vient de la démographie. Durant cette période, la population française a augmenté de 10,5 millions de personnes pour 3,5 millions en Allemagne. Cela signifie que la croissance globale a été strictement identique mais qu’il a fallu la partager avec 7 millions de personnes supplémentaires. Néanmoins, selon l’Insee, le PIB par habitant français est peu inférieur à celui des Allemands.
L’Allemagne comme la France a vu sa dette publique progresser après la crise de 2008 où elle atteignait environ 65% du PIB. Elle serait à 85% outre-Rhin et à plus de 90 en France.
Le complexe des Français viendrait en particulier des exportations. L’Hexagone accumule un déficit qui devient structurel autour de 60 milliards €, alors que l’Allemagne ne cesse d’afficher des records. Ce petit pays de 80 millions d’habitants aurait même repris le leadership mondial devant la Chine (1,3 milliard d’individus) et les Etats-Unis (300 millions). Mais le but d’une économie n’est pas d’accumuler des excédents. La Commission européenne affirme même qu’il conviendrait de limiter les excédents ou les déficits à 6% du PIB alors que l’Allemagne atteint désormais 7%. Comprenez : notre voisin produit chaque année 7% de plus que ce qu’il est capable de consommer.
Même chose pour l’agriculture. Les exportations allemandes dépassent désormais celles de la France. On en a souvent conclu que nous produisions moins. En fait, notre pays reste le 1er producteur de l’UE loin devant l’Allemagne ou l’Italie. Mais qui dit exportations importantes ne dit pas excédent de la balance commerciale. Ceux qui se sont émus des performances agroalimentaires de l’Allemagne ont oublié de préciser qu’elle importe presque deux fois plus que la France. Le résultat de la balance est donc strictement inverse : l’excédent français dépasse 12 milliards € alors que l’Allemagne maintient un déficit de 12 milliards €.
Sachons raison garder. Nous avons beaucoup à apprendre de nos voisins allemands, ne serait-ce que la capacité à ne pas céder à l’auto-dénigrement qui semble gagner la classe politique française. Comme le modèle japonais, le modèle allemand risque d’être une chimère bien commode pour ceux qui n’aiment pas se poser des questions.

Une note conjoncturelle de Lucien Bourgeois, économiste (8 avril 2014)


Une note conjoncturelle de Lucien Bourgeois, économiste

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