L’Académie lance l’offensive
Jeudi 21 novembre 2013. Le Comité de prospective en énergie de l’Académie des sciences rend public son rapport sur les gaz de schiste. Ses conclusions ? Au regard des enjeux économiques, de la dépendance énergétique de la France, et de l’évaluation des risques associés à leur exploitation, les académiciens estiment qu’on ne peut pas « rejeter sans examen attentif, cette ressource potentielle ». Rappelons que, jusqu’à présent, l’exploration comme l’exploitation des sous-sols se heurtent à l’interdiction de l’usage de la fracturation hydraulique [1], principale méthode connue pour sonder la roche mère.
La presse reprend à sa sauce les neuf recommandations des académiciens. Le Figaro revient en détail sur la question des risques, environnementaux et sismiques notamment. Avec ce credo : « tous les arguments techniques avancés montrent que les rapporteurs sont convaincus que l’exploitation des gaz de schiste, même par la technique de la fracturation hydraulique, peut se faire d’une manière sûre, à la fois pour les personnes et pour l’environnement ». Europe 1, de son côté, insiste sur les aspects de gouvernance, en précisant que les auteurs proposent « la création d’une autorité scientifique indépendante pour encadrer la recherche sur l’exploration et l’éventuelle exploitation des gaz de schiste ». Les Echos sont, quant à eux, plus caustiques. Pascal Pogam écrit : « Ces 23 pages rédigées par des scientifiques de haut vol doivent (…) être prises pour ce qu’elles sont (…). Une base de travail sérieuse, susceptible d’éclairer le débat sur un sujet devenu presque plus controversé que le nucléaire. ». Avant d’ajouter : « Les 9 propositions n’ont rien de révolutionnaire ».
On pourra ici regretter que nul ne s’interroge sur l’absence, dans la liste des personnes auditionnées par le comité, de représentants des sciences humaines et sociales.
Les parlementaires en remettent une couche
Après les académiciens, c’était au tour des membres de l’OPECST [2] de rendre leur copie sur le sujet. Chargés d’étudier les techniques alternatives à la fracturation hydraulique, Jean-Claude Lenoir, sénateur UMP et Christian Bataille, député socialiste, indiquent que, certes, celles-ci existent ; mais elles sont onéreuses et toujours au stade expérimental. Ils concluent de fait que « la fracturation hydraulique reste la technique la plus efficace et la mieux maîtrisée », rejoignant la position des académiciens. Pour le journal Le Point, ce rapport « est avant tout un plaidoyer en faveur des expérimentations sur le territoire français ». Un plaidoyer qui, on s’en doute, a suscité de vives réactions. Alors que les auteurs déplorent un sujet « diabolisé », « tabou », leurs opposants dénoncent un rapport qui tient plus de « l’acte de foi » que de l’analyse scientifique.
Une fracture… politique ?
Parallèlement, une étude commanditée par l’Organisation nationale des producteurs de pétrole et de gaz avance l’idée que l’exploitation des gaz de schistes pourrait générer plus d’un million d’emplois et améliorer la dépendance énergétique du vieux continent. Alors que l’Europe importe aujourd’hui 89% de son gaz, « ce taux pourrait être ramené à 78% voire 62% en 2050 ». Chimère ? L’Usine Nouvelle, sous la plume de Ludovic Dupin, tempère l’ardeur des industriels. L’auteur rappelle ainsi que ces données sont issues des scénarios les plus optimismes, misant sur un taux de récupération « très élevé » des ressources. Sans compter que l’évaluation desdites ressources varie d’une année sur l’autre. En 2011, elles étaient estimées à 5100 milliards de mètres cubes de gaz par l’Agence internationale de l’énergie qui a revu de 20% à la baisse son jugement en 2013 [3] (Le Monde, Le Figaro).
Au-delà des estimations, parfois démesurées, Ludovic Dupin s’interroge sur les rapports distendus entre l’exécutif et les instances consultatives. « Ni l’autorité scientifique, ni la représentation parlementaire ne parviennent à infléchir le rejet des hydrocarbures non conventionnels par le gouvernement ».
Chacun interprétera les faits à sa convenance. Quoi qu’il en soit, dans un entretien accordé ce matin au Parisien, le ministre de l’écologie Philippe Martin a réitéré la position du gouvernement, affirmant se méfier « des VRP des hydrocarbures fossiles ». C’est dit !
Revue de presse de la Mission Agrobiosciences, 28 novembre 2013.
Précisons ici que la Mission Agrobiosciences et l’IEP Toulouse organisent le jeudi 12 décembre prochain un Forum « Les gaz de schiste et la société : fractures et ressources »
Sources :
- Gaz de schiste : des risques maîtrisables, selon l’Académie des sciences Cyrille Vanlerberghe. Le Figaro, 21 Novembre 2013.
- Gaz de schiste : vers une autorité indépendante Europe 1, 21 novembre 2013.
- Dépassionner le gaz de schiste Pascal Pogam, Les Echos, 22 novembre 2013.
- Des parlementaires veulent faire tomber le "tabou" du gaz de schiste Jason Wiels, Le Point, 28 novembre 2011.
- Gaz de schiste : un rapport parlementaire plaide pour une exploration expérimentale Le Monde, 28 novembre 2013.
- Gaz de schiste : ces emplois dont la France ne veut pas Ludovic Dupin, l’Usine Nouvelle, 27 novembre 2013.
- Il faut se méfier des VRP des hydrocarbures Interview de Philippe Martin, par Frédéric Mouchon. Le Parisien, 28 novembre 2013.
Lire aussi : - Gaz de schiste : la fête est finie Jean-Michel Bezat, Le Monde, 28 novembre 2013.
- Les opposants au gaz de schiste de plus en plus mobilisés dans le monde Le Monde, 18 octobre 2013
- La Pologne sera le premier Européen à produire du gaz de schiste Le Figaro, 27 novembre 2013.
Lire sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement) : - L’exploitation des gaz de schistes : entre promesses économiques et conséquences environnementales Un rapport issu du BE Etats-Unis du 1er juillet 2011.
- "L’expertise face à la décision publique : quel est l’apport des sciences humaines et sociales ?" La restitution de la Conversation de Midi-Pyrénées, décembre 2005. Avec les exposés introductifs de Gilles Allaire, économiste, et de Michel Grossetti, sociologue. Télécharger la restitution (PDF, 24 pages)
- "Doit-on aller vers un apprentissage collectif du risque ?" La restitution de la Conversation de Midi-Pyrénées, mai 2006. Avec les propos introductifs de Olivier Moch, directeur général adjoint de Météo France et Patrick Denoux, maître de conférences à l’Université de Toulouse-Le Mirail. Télécharger le document (PDF, 24 pages)