13/06/2014
Veille science et société. 13 juin 2014
Mots-clés: Santé

A l’avant garde du quantified self : les biohackers

Dans le cadre de la veille science et société qu’elle opère, afin de mieux détecter les signaux faibles qui surgissent ici et là, la Mission Agrobiosciences a sélectionné une information pour le moins étonnante voire inquiétante, issue des services scientifiques de l’Ambassade de France aux Etats-Unis.
De quoi s’agit-il ? Des biohackers, ces personnes qui utilisent les applications de la technologie pour compter leurs calories, des balances intelligences et une foule d’autres enregistreurs de productivité et autres kits de tests sanguins, afin d’atteindre un degré d’optimalité, dans la performance physique et mentale. Cette sorte d’orthorexie portée à son paroxysme, pouvant amener à des régimes extrêmes, a ouvert un marché juteux dans lequel s’engouffre nombre de start-up. Cette pratique controversée représente-elle une tendance durable ? Un papier passionnant à lire ci-dessous.

Innovation et valorisation de la recherche
A l’avant garde du quantified self : les biohackers
Source : BE Etats-Unis 373

Une population très caractéristique

Comment reconnaître un biohacker ? Souvent de profil technique, c’est une personne qui a décidé de se mettre à mesurer le plus possible de signes vitaux, de façon très régulière, souvent dans un but de s’améliorer, à savoir d’améliorer ses métriques et performances dans plusieurs dimensions. Mouvance issue du "quantified self" (auto-quantification), les biohackers utilisent les applications de la technologie pour compter leurs calories, des balances intelligentes (avec multiples indicateurs de condition physique : poids, pourcentage de graisse du corps, IMC, ...) , enregistreurs de productivité, kits de tests sanguins et outils graphiques pour suivre en continu ce qu’ils consomment et comment cela les affecte. Il ne s’agit pas simplement de faire bonne figure, mais d’atteindre un degré d’optimalité, dans la performance physique et mentale [1].

Certains en font une profession, comme Dave Asprey. Cet ancien entrepreneur de San Francisco est devenu la tête d’affiche des biohackers. Sa routine est pour le moins surprenante : debout à sept heures, il ingère une poignée de suppléments en guise de petit déjeuner, en buvant un café de son invention. A midi, c’est légumes-vapeur et poisson ou viande cuits dans l’huile de coco. Son régime - résultat de l’auto-expérimentation - a été soigneusement calibré pour alimenter une journée de 19 heures. Ainsi ce régime qu’il promeut dans les conférences, baptisé "Régime Par-balles" lui a permis de perdre 50 kilos et d’augmenter - selon lui - son QI de 20 points. Pour l’élaborer, il n’a pas rechigné sur l’utilisation de tests sanguins, d’applications biométriques, d’électrocardiogrammes, pour quantifier systématiquement la réponse de son corps au moindre changement de paramètre.

Un réseau actif

Dave Asprey n’est pas seul, loin de là, à vouloir prendre le contrôle total de son corps. Sur les réseaux sociaux, les biohackers n’en finissent pas de s’échanger des informations sur des sujets comme la relation entre l’huile de lin et la fonction cognitive, le meilleur temps de la journée pour consommer de la caféine, la relation entre miel, alcool et sommeil. Certains pratiquent le jeûne intermittent afin d’améliorer la concentration et en rendent compte fidèlement sur leur blog (Quantified Bob est un bon exemple de ces blogs [2]), ou lors de Meetups du mouvement Quantified Self.

Pour ceux qui veulent "hacker" leur ADN, au lieu de le faire dans leur garage, il y a des endroits comme BioCurious [3], un laboratoire dans la baie de San Francisco qui cherche à mettre la science dans les mains de la communauté. Un peu dans la mouvance du "Do-It-Youself" mais cette fois en biologie, ce laboratoire a pu se monter grâce à une campagne de crowdfunding sur le site Kickstarter. Remplie de chercheurs et de curieux, c’est une manifestation de l’avènement d’une science dite citoyenne. D’autres vont plus loin en créant leur propre laboratoire comme Ethan Perlstein, mais cette approche scientifique et professionnelle est bien loin des biohackers [4]. D’autres enfin créént des espaces dédiés pour les startups du domaine [5].

Des startups sur ce créneau

Evidemment cette mouvance comprend bien des innovateurs qui sont des expérimentateurs parfaits pour des jeunes sociétés qui développent des nouveaux capteurs. Ils seront les premiers clients qui permettront de parfaire des produits pour le grand public. Ainsi ils seront les premiers à participer à des campagnes de crowdfunding pour récupérer le dernier outil à la mode, comme le Scanadu [6] qui permet de mesurer rapidement la température, le rythme cardiaque, l’oxygénation du sang, la fréquence respiratoire, la tension artérielle, etc... Les sociétés ne manquent pas : Lumo propose un capteur à porter sur soi, pour suivre la posture du dos [7] et la corriger en temps réel.

Au delà d’expérimenter, certains de ces biohackers développent leur idée jusqu’à en faire un véritable produit de consommation. C’est ce qu’on a pu voir récemment avec le créateur de la boisson Soylent dont l’objectif est de remplacer la nourriture entièrement. Si Soylent est l’ultime régime du biohacker de par son efficacité extrême, il n’en est pas moins controversé [8].

La controverse ne s’arrête pas là, car le crowdfunding a donné lieu a beaucoup d’excès sur le créneau du comptage automatique de calories [9], avec la campagne très médiatique du produit GoBe dont les bases scientifiques laissent clairement à désirer [10]. Malgré cela on assiste à la création d’un écosystème autour de cette communauté de biohackers.

Une tendance à long terme ?

L’abondance des données recueillies par les biohackers pourrait un jour participer au progrès de la médecine [11]. Mais il n’en reste pas moins que c’est une démarche narcissique à l’extrême, où l’objectif n’est pas de découvrir autre chose que nous-mêmes, une étape dans la direction de la santé personnalisée. De plus, cette abondance de données sur des micro-échantillons de gens peut rester statistiquement très pauvre.

Alors, est-ce une tendance à long terme ? Il est trop tôt pour le dire, mais les premiers indicateurs sont là : selon Pew Internet Research, 69% des Américains déclarent suivre au moins un indicateur de la santé et le mouvement du Quantified Self a des chapitres dans 119 villes à travers le monde [12]. Maintenant, est-ce pour le meilleur ? Au delà de la réconciliation entre une certaine idée de jouissance de la vie et le fait de rester en bonne santé, le perfectionnisme inhérent à l’activité du biohacker n’engendre-t-elle pas anxiété et dépression à long terme, comme tout trouble de l’alimentation ? L’avenir nous le dira.

Rédacteur
Thomas Deschamps, thomas.deschamps@consulfrance-sanfrancisco.org ;

Sources :


Une information issue du Bulletin électronique Etats-Unis 373, du 13 juin 2014
Mot-clé Nature du document
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