Guides : on n’est pas sorti de l’auberge
Chronique "Sur le pouce" de l’émission de janvier 2011 de "Ça ne mange pas de pain !" : Y’a d’la rumba dans les cabas
L. Gillot. Peut-être êtes-vous tout comme moi, disons-le sans détours, une obsessionnelle de votre alimentation. Obsessionnelle dans le sens où, vous cherchez tout à la fois à concilier plaisir, santé, équilibre, goût, qualité des produits, impact environnemental, le tout avec un budget somme toute limité. Et à ce titre, vous êtes sensible aux informations et autres parutions dans le champ de l’alimentation. Le cas échéant, cette chronique est faite pour vous. Ces derniers temps, un événement ne vous aura pas échappé. Les mangeurs disposent d’un nouvel outil pour les aider dans leur quête d’un idéal alimentaire : le guide de consommation.
Courses d’obstacles
Rien à voir ici avec les guides de la ménagère et autres livres d’économie domestique de nos grands-mères dans lesquels on vous expliquait la marche à suivre pour être une parfaite femme au foyer. Non, l’objectif affiché ici est de livrer aux consommateurs que nous sommes une information fiable sur leur alimentation. C’est que, nous dit-on, ces derniers seraient en manque de REPÈRES : paumés dans le flot d’informations relatives à l’alimentation, perdus dans la jungle des labels, égarés dans le jargon des allégations environnementales. Sans compter que, avec l’allongement de la chaîne alimentaire et la standardisation de l’offre, nous aurions perdu de vue le fait que les produits frais – fruits et légumes, mais aussi la viande, le poisson ou encore les fromages – ont une saisonnalité. La respecter, c’est à la fois concilier plaisir et hygiène, à un moindre coût.
D’où l’intérêt de publier des guides pour que les consommateurs puissent disposer de toutes les clés pour bien orienter leurs achats. En clair : finie la longue hésitation dans le rayon volailles - le poulet label rouge dans une main et son homologue fermier dans l’autre - à se demander quelle peut bien être la différence entre les deux. Exit ces interminables questionnements intérieurs qui commencent au rayon fruits et légumes et se terminent par un flop au rayon poissonnerie, parce que de l’avocat, du brocoli, de la raie ou du bar, il vous est impossible de savoir s’il est raisonnable d’en acheter : « Est-ce la saison ? » vous alerte votre petite voix intérieure...
A quel guide doit-on se vouer ?
Pour calmer ses angoisses consuméristes, tout un chacun est donc convié à suivre le guide. Rien de plus simple en apparence. A ce détail près : quel guide choisir ? Doit-on privilégier les guides « nutritionnels », à l’instar de celui édité par le PNNS – le programme national nutrition et santé ou tout récemment par le Vidal [1] ? Opter plutôt pour les – très nombreuses – références sur la consommation dite « responsable » ? [2] Glisser dans son portefeuille le « mini-guide pour une consommation équitable » ou celui concernant les produits de la mer réalisés tout deux par WWF ? [3] Suivre les conseils en matière de « saisonnalité » des produits frais et se fier ainsi au guide édité l’an passé par le Bottin Gourmand en collaboration avec le Ministère de l’Agriculture [4] ? A moins que vous n’adoptiez le « guide pratique des allégations environnementales » que le Ministère de l’économie et le Ministère de l’écologie ont publié en novembre 2010 [5]. « On ne sait pas trop à quel guide se vouer », remarque à très juste titre votre petite voix intérieure... [6]
Gros dilemme
Aussi, face à la multitude de références, deux possibilités s’offrent à vous :
- Choisir un exemplaire de chaque type de guide - nutritionnel, responsable/équitable, environnemental et relatif aux saisons - pour compiler les informations et avoir une vision d’ensemble ;
- N’en conserver qu’un seul, selon le domaine qui a votre préférence ou pour lequel vous êtes le moins informé.
Les plus critiques diront qu’à ce stade, une troisième solution existe : n’en suivre aucun... Mais laissons là les sceptiques.
Pour ma part, étant – je l’ai dit – une obsessionnelle de l’alimentation, j’ai opté pour la première solution : compiler les données, pour être une conso bien informée. C’est là que l’affaire se corse. Car si le guide est plutôt une bonne chose en soi – on trouve dans chacun d’entre eux des informations intéressantes – la profusion des guides et de leurs recommandations placent le mangeur dans une situation d’inconfort. D’une part, il doit intégrer quantités de données. D’autre part, il voit surgir de nouveaux dilemmes. Un exemple parmi tant d’autres. Souvenez-vous du "bide" au rayon poissonnerie et de nos fameux poissons. D’un point de vue nutritionnel, on vous explique qu’il faut en consommer régulièrement. « Bien ». Ce mois de janvier est la pleine saison de la raie et du bar. « Jusqu’ici, j’ai tout bon », se réjouit votre petite voix intérieure. Les choses se compliquent lorsque l’on intègre les données relatives à l’environnement. Car, au regard des ressources maritimes disponibles, il faut éviter la consommation de raie et, pour le bar, privilégier le bar de ligne. Reste ceci : où peut-on acheter du bar de ligne frais à un prix raisonnable ? Voilà qui n’est pas chose aisée...
« Je ne suis vraiment pas sortie de l’auberge », souligne un brin ironique votre voix intérieure.
Retour au point de départ
C’est bien là le problème : finalement, avec toutes ces informations, on n’est pas nécessairement plus avancés. Vous hésitez toujours entre le poulet label rouge et son homologue fermier, et votre passage au rayon poissonnerie risque bien de se terminer, comme à l’accoutumée mais pour de toutes autres raisons, par un flop. Retour à la case départ. A ce sujet peut-être convient-il de rappeler ici l’étymologie du mot « repères », ce fameux mot clé. Figurez-vous que celui-ci vient du latin ’repairer" : « revenir au point de départ »...
Pour conclure cette chronique, j’aimerais glisser une ultime remarque : selon les dernières données du CREDOC - Le Centre de recherches pour l’étude et l’observation des conditions de vie -, les français s’approvisionnent principalement en super/hypermarchés et, de manière croissante en hard discount [7]. Ce qui caractérise l’un et l’autre, c’est le très faible temps consacré aux courses, 50 mn pour les premiers, 20mn en moyenne pour les seconds. Un laps de temps qui ne laisse guère le loisir d’éplucher les étiquettes à la recherche du produit nutritionnellement, écologiquement ou solidairement "correct".
Dès lors quels sont les critères de choix valorisés par les consommateurs ? Toujours selon le CREDOC, depuis la crise financière, le prix est devenu – après les garanties d’hygiène et de sécurité – le principal critère de choix d’un produit, alors que « Les critères d’achat labels et marques n’ont jamais été aussi peu prisés » [8].
« Un facteur dont il faudra bien un jour prendre la mesure. » conclut finalement votre petite voix intérieure.
Chronique "Sur le pouce" de Lucie Gillot, Mission Agrobiosciences. Emission de janvier 2011 de "Ça ne mange pas de pain !" : "Y’a d’la rumba dans les cabas"
A propos de la consommation, on peut lire sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement) :
- Consommer... Se consumer en somme. La chronique "Grain de sel" de Valérie Péan, Mission Agrobiosciences, émission de janvier 2011 de "ça ne mange pas de pain !".
- "Consommer en bonne conscience, est-ce possible ?". L’interview de Bertrand Hervieu, Secrétaire Général du Ciheam, par Jacques Rochefort, Mission Agrobiosciences. Dans le cadre de l’émission de "ça ne mange pas de pain !" : "Les malheurs du mangeur : consommateur ou citoyen, faut-il choisir ?". Télécharger l’Intégrale PDF de cette émission
- La consommation engagée : mode passagère ou tendance durable ?. Chroniques « Grain de Sel » de la Mission Agrobiosciences, suivie d’un entretien avec Geneviève Cazes-Valette. Professeure à l’Ecole Supérieure de Commerce de Toulouse. Emission de "ça ne mange pas de pain !" de décembre 2006. Télécharger l’Intégrale PDF
"Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go) est une émission mensuelle organisée par la Mission Agrobiosciences pour ré-éclairer les nouveaux enjeux Alimentation-Société. Enregistrée dans le studio de Radio Mon Païs (90.1), elle est diffusée sur ses ondes les 3ème mardi (19h00-20h00) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. L’émission peut aussi être écoutée par podcast à ces mêmes dates et heures. Pour En savoir plus....
A l’issue de chaque émission, le magazine Web de la Mission Agrobiosciences édite l’Intégrale, une publication d’une dizaine de pages, téléchargeable gratuitement. Retrouvez Toutes les Intégrales de "Ça ne mange pas de pain !" mais aussi toutes les chroniques et tables rondes.