10/01/2011
Vient de paraître dans le cadre de "Ça ne mange pas de pain !". Janvier 2011

Consommer... Se consumer en somme (Chronique originale)

"Y’a dans la rumba dans les cabas", titre l’émission "Ça ne mange pas de pain !" de la Mission Agrobiosciences, de janvier 2011. L’idée ? Prendre la mesure des changements qui bousculent nos comportements d’achat en matière alimentaire. Un sujet qui appelait à revenir sur l’origine et les avatars d’un mot qui caractérise depuis belle lurette notre société : la consommation. Ou comment celle-ci, par une erreur de latin, est passée de la notion de plénitude à celle de la perte.
A écouter sur les ondes de Radio Mon Païs (90.1 et par le Web), les mardi 18 janvier 2011, de 19h à 20h, et mercredi 19, de 13h à 14h. 2010.
Lire ci-dessous la chronique de Valérie Péan.

Consommer... Se consumer en somme.
Chronique "Grain de sel" de l’émission de janvier 2011 de "Ça ne mange pas de pain !" : Y’a d’la rumba dans les cabas

"Faire le total " : c’est là la traduction première du verbe latin Cumsummare, dérivant rapidement vers le sens de "mener à son terme" et au figuré, "s’accomplir".
Si l’on s’en était tenu à cette définition originelle, passer à la caisse serait synonyme d’épanouissement... Sillonnant dans les linéaires, nous devrions afficher l’air béat de celui qui tend vers la plénitude à mesure qu’il remplit son caddy.
Evidemment, ce n’est pas vraiment le cas. Et tout ça par la faute des Chrétiens du Moyen-Age qui se sont emmêlés dans leur latin de cuisine, confondant consummare avec un autre verbe qui n’a rien à voir, consummere, qui lui, veut dire détruire, perdre, épuiser, dépenser… Nous y voilà. Employant les deux verbes indifféremment, ces mauvais latinistes assimilèrent en effet la consommation à une lente descente vers la ruine…

Au début du 18è siècle, l’Académie française tenta bien d’y mettre bon ordre en distinguant formellement le sens et l’orthographe des deux termes, consumer et consumer. Trop tard. Le mal était fait et seuls quelques usages spécifiques gardent trace du sens originel, où consommation rimait avec perfection. En cuisine, par exemple, il nous reste le consommé, ce bouillon qui concentre le meilleur de la viande. Mais en dehors d’une poignée d’exemples, le fait de consommer resta marqué par la perte.

Imiter et se différencier

A la même époque toutefois, une vision un peu moins noire nous fut cependant apportée par cette discipline naissante qu’était l’économie moderne. Faisant entrer la consommation dans son vocabulaire, elle la définit comme étant certes, la disparition d’un bien par l’usage que l’on en fait mais pour satisfaire des besoins. C’est que parallèlement, pour les plus nantis, l’émergence de la consommation s’opère au 18è et grandit au long du 19è siècle, sous l’influence de la poussée des villes, de l’essor de la bourgeoisie marchande, du négoce et des manufactures.
Pour la consommation de masse, il faut cependant attendre le milieu du 20ème siècle et ses Trente glorieuses. La croissance spectaculaire de l’après-guerre, l’exode rural et la montée du niveau de vie font se précipiter les classes moyennes vers les biens d’équipement, à l’image des Américains : frigos, machines à laver, voitures… C’est une avalanche d’achats. L’abondance pour tous. L’objet technique, le confort domestique. L’âge d’or de Moulinex et consorts. Le top des sorties des Parisiens, c’est d’ailleurs la visite du Salon des arts Ménagers qui, bien que créé en 1923, connait alors ses records d’affluence. Signe des temps, le mot consumérisme apparaît à la fin de cette époque.
Pour les analystes, il s’agit dans ces décennies là, d’une consommation motivée par deux ressorts : Le premier, c’est l’imitation, l’intégration : on veut le même produit que le voisin. Le deuxième, c’est la différenciation : il s’agit au contraire de se distinguer par rapport aux autres, d’affirmer une position sociale, par exemple à travers le choix de la voiture.

Désir, jouissance et "petite mort"

Les criques, toutefois, ne tardent pas. Dès 68 et au tournant des années 70, des voix protestent : nous serions passés de la satisfaction d’un besoin à la satisfaction d’un désir. Les pressions sociales, la poussée du marketing expliquent le succès d’objets pas forcément utiles mais que tout le monde aspire à posséder. La faute à la « société dite de consommation », selon l’expression de Henri Lefebvre, largement relayée par les analyses de Jean Baudrillard : dans cette nouvelle ère du matérialisme triomphant, nous sommes réduits à l’impératif de jouir, au fétichisme de la marchandise, à la contrainte du bonheur, à l’impossibilité de se contenter de ce que nous avons.
Le principal souci de notre société n’est alors plus de fournir du travail, mais de faire consommer compulsivement. C’est devenu le principe et le moteur de la société. Une quête sans fin qui homogénéise les comportements.

Il en fallait cependant plus pour perturber le système. De fait c’est seulement avec le phénomène de la mondialisation que l’on a revu émerger des formes de mobilisation militante à l’égard de la consommation effrénée. D’où l’apparition de nouveaux concepts, comme le consomm’acteur puis le consommateur citoyen, plus responsable, censé acheter du local, du bio, de l’éthique, de la consommation durable. Ou, plus radicalement, appelé à la sobriété dans une logique de décroissance.
Il n’empêche, continuant à vouloir satisfaire un désir, nous serions bel et bien dans l’expérience de la jouissance. Acheter, c’est éprouver un plaisir orgasmique immédiat, suivie de très près par la frustration ou la culpabilité une fois arrivé à la maison. Une petite mort qui nous pousse à recommencer encore et encore. C’est là pour certains économiste le 3ème âge de la consommation : la première phase, amorcée en 1880, inaugurait la relation de l’individu à l’objet, d’où l’apparition des marques et les premiers grands magasins : une consommation réservée aux élites.
Le 2ème âge, est celui de l’achat massif de l’après-guerre, motivé par l’allègement des contraintes, symbolisé par l’avènement les supermarchés.
Le 3ème âge qui nous concerne, se caractérise par une consommation émotionnelle et identitaire.
Logiquement, sans sursaut miracle, le 4ème âge devrait nous conduire sur la voie de la complète sénilité, une incontinence mercantile, tous agrippés les mains tremblantes sur des caddyes transformés en déambulateurs. Littéralement consumés. Finalement, nos latinistes médiévaux n’avaient peut-être pas tort. Allez, bonne année, bonne santé… Et ne vous fracturez pas le col du fémur pendant les soldes.

Chronique "Grain de sel", de Valérie Péan, Mission Agrobiosciences. Emission de janvier 2011 de "Ça ne mange pas de pain !" : "Y’a d’la rumba dans les cabas"

"Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go) est une émission mensuelle organisée par la Mission Agrobiosciences pour ré-éclairer les nouveaux enjeux Alimentation-Société. Enregistrée dans le studio de Radio Mon Païs (90.1), elle est diffusée sur ses ondes les 3ème mardi (19h00-20h00) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. L’émission peut aussi être écoutée par podcast à ces mêmes dates et heures. Pour En savoir plus....

A l’issue de chaque émission, le magazine Web de la Mission Agrobiosciences édite l’Intégrale, une publication d’une dizaine de pages, téléchargeable gratuitement. Retrouvez Toutes les Intégrales de "Ça ne mange pas de pain !" mais aussi toutes les chroniques et tables rondes.

Chronique "grain de sel", de Valérie Péan, Mission Agrobiosciences.

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