"Enquête à Shao Shin "
Chronique "Le ventre du monde" de Bertil Sylvander, sociologue et économiste, émission de mai 2011 de "Ça ne mange pas de pain !"
B. Sylvander. En voyage d’études, sois jovial, mais reste vigilant !
Lors d’une mission en Chine, j’avais souhaité voir des Appellations d’Origine Contrôlées à la chinoise. Après le Thé de Long Jing et le Jambon de Jinhua, dont je vous parlerai une autre fois, nous sommes allés visiter le Shao Shin, qui est un alcool de riz très – trop – agréable au palais, et dont le taux d’alcool est très – trop – peu perceptible.
Comme toujours dans ce pays, les délégations étrangères sont reçues avec faste et générosité. Dès notre arrivée dans les locaux du syndicat du Shao Shin, nous pénétrons dans un grand hall en marbre, où se dresse un grand écran plasma ultra moderne, avec inscrit dans les deux langues : « Bienvenue à l’estimable délégation française ». Puis nous partons à une réunion au cours de laquelle on échange des amabilités sans pouvoir en venir au fait. Et nous buvons des thé de toutes sortes.
Mais voici qu’arrive très –trop ! – tôt l’heure du déjeuner. Et les deux délégations se rendent dans une grande salle à manger, au milieu de laquelle se dresse l’inévitable table ronde à grand plateau tournant.
Sur cette table, tous les mets possibles et imaginables. (Je précise tout de suite que par égard pour notre sensibilité occidentale, on nous a épargné les brochettes de scorpion, les ragoûts de cancrelats et les larves frites). Mais on trouve sur le plateau, éparpillés en assiettes et plats de toutes tailles et de toutes formes, d’innombrables légumes à la vapeur, connus ou inconnus, des fines tranches de charcuterie, des poissons fumés, des beignets de crevettes, de crabe, de poulet, de chien, de chevreau, à la vapeur ou rôtis, des moules, calamars et crustacés, des truites et brochets fumés, marinés, en soupe, potage ou crème.
Sans exagérer, il y a là de quoi nourrir au moins dix fois plus de personnes que nos deux délégations réunies, qui arrivent ensemble au nombre de 12 personnes (4 étrangers, avec les interprètes et 8 chinois).
Et commence le repas, rythmé de questions précises et de réponses évasives. Manifestement, nos hôtes sont méfiants, comme nous le confirmerons dans un instant. Les échanges sont ponctués des petits discours sympathiques de la part de chacun de nos hôtes, qui se terminent bien sûr par le « Gam bei ! » coutumier : une injonction à boire cul sec le fameux alcool de riz, dit « Shao Shin ». « Ils ne nous auront pas ! », pensons-nous, tout à notre enquête. Les français ont une bonne descente et les chinois vont être étonnés. Et nous aussi, nous prenons le relais du petit discours et du « Gam bei », afin qu’ils ingurgitent la même dose d’alcool que nous. Mais, au bout de quelques temps, nous nous réalisons que les dés sont pipés : les chinois sont plus nombreux que nous et leurs verres sont beaucoup plus petits ! Dans ces conditions, notre enquête est en péril !
Les conversations s’accélèrent, des coups de coude s’échangent, des chansons fleurissent, les jeunes femmes nous sourient, l’atmosphère devient fervente, mais ils ne passeront pas ! Leur ruse est trop grossière ! Nous voulons tout savoir : la variété de riz, la température de rupture de la distillation sous pression, le nombre de producteurs, les contrats passés, les mécanismes de régulation, les contrôles, les sanctions. Ils finissent par parler, nous prenons des notes, ils sont visiblement étonnés de notre résistance. On a gagné !
Le lendemain, lors du débriefing interne de la délégation française, nous nous apercevons qu’il nous est impossible de relire nos notes, tant l’écriture est heurtée, hachée, incompréhensible. Et hélas, nos souvenirs se révèlent bien brumeux…
La sournoiserie des chinois est infinie.
Chronique "Le Ventre du monde" de Bertil Sylvander, sociologue et économiste. Emission de mai 2011 de "Ça ne mange pas de pain !" : "Quand les cuisines asiatiques se débrident"
Lire les autres chroniques et interviews de l’émission de mai 2011 de "Ça ne mange pas de pain !" :
- Quiz : l’Asie par le menu. Mise en bouche d’Amine Marouki, étudiant à l’IUT Paul Sabatier de Toulouse et de la Mission Agrobiosciences.
- A.O.C : Appellation d’Origine...chinoise. Chronique grain de sel de Valérie Péan de la Mission Agrobiosciences.
- Tohu-bohu autour du tofu. Une interview de Catherine Bennetau-Pelissero, Professeur en Sciences animales et Nutrition-Santé (Enita Bordeaux).
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Lire sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement) :
- Pourra-t-on défendre et promouvoir les appellations d’origine à l’OMC ?. Le cahier du café-débat avec Bertil Sylvander, économiste, expert français auprès des Communautés Européennes, Directeur de recherche INRA, coordinateur du réseau Dolphins. Télécharger le document PDF.
- Des produits made in China sans contrefaçon ? Le cahier du café-débat de Marciac avec Marie Papaix, ingénieure agronome. Télécharger le cahier.
- Chine : l’Empire contre-attaque. La revue de presse de la Mission Agrobiosciences, 12 janvier 2011.
- Alimentation et société. "Nuit blanche à Berlin". Une chronique "Le ventre du monde" de Bertil Sylvander, sociologue et économiste.
"Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go) est une émission mensuelle organisée par la Mission Agrobiosciences pour ré-éclairer les nouveaux enjeux Alimentation-Société. Enregistrée dans le studio de Radio Mon Païs (90.1), elle est diffusée sur ses ondes les 3ème mardi (19h00-20h00) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. L’émission peut aussi être écoutée par podcast à ces mêmes dates et heures. Pour En savoir plus....
A l’issue de chaque émission, le magazine Web de la Mission Agrobiosciences édite l’Intégrale, une publication d’une dizaine de pages, téléchargeable gratuitement. Retrouvez Toutes les Intégrales de "Ça ne mange pas de pain !" mais aussi toutes les chroniques et tables rondes.