24/06/2008
Dans le cadre de "Ça ne mange pas de pain !"
Nature du document: Notes de lecture

« Bon consommateur, mauvais citoyen » (note de lecture originale)

Publié en 2007 aux éditions Odile Jacob, l’ouvrage de Robert Rochefort, directeur du Credoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), "Bon consommateur, mauvais citoyen", se propose d’étudier et de mieux comprendre les contradictions que nous vivons en tant que consommateur et citoyen. Ou comme le dit son auteur : Peut-on rouler en 4*4 et s’alarmer du changement climatique ? Courir les superdiscounts et enrager contre les délocalisations ? Bref, la société de consommation aurait-elle engendré de mauvais citoyens ?
L’économiste Bertil Sylvander nous livre ici une lecture critique de cet ouvrage passionnant, pointe les idées saillantes de la thèse de l’auteur en matière, notamment, d’éducation des consommateurs, tout en soulignant les limites, selon lui, de son raisonnement.
Une chronique réalisée dans le cadre de "Ça ne mange pas de pain !", l’émission radiophonique de la Mission Agrobiosciences, alors consacrée aux Malheurs du mangeur : consommateur ou citoyen, faut-il choisir ?

Bon consommateur, mauvais citoyen
Lecture critique de l’ouvrage de Robert Rochefort, par Bertil Sylvander, économiste

B. Sylvander : "Robert Rochefort, il faut le rappeler, est directeur du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, le Credoc, qui est un organisme d’étude subventionné par l’Etat. Il nous livre ici une réflexion sur les contradictions que nous vivons tous en tant que consommateurs et en tant que citoyens. Un économiste dirait : « c’est un livre sur la sphère du marché et le bien public ». Voici quelques-uns uns des paradoxes qui se posent, à titre d’introduction. Peut-on rouler en 4x4 et s’alarmer du changement climatique ? Peut-on rejeter les OGM à cause des menaces supposées sur la santé et ne pas se soucier de l’alimentation des 9 milliards d’individus à venir, à l’horizon 2050, sur Terre ? Peut-on condamner les délocalisations et courir les super-discounts bourrés de produits importés de Chine ? Bref, peut-on afficher sa sympathie pour le bien public et avoir des comportements qui vont à son encontre ?

Le propos du livre est d’analyser ces paradoxes et de proposer des solutions. Il passe au crible les comportements des consommateurs dans cinq secteurs emblématiques : l’alimentation, le commerce, la voiture, l’argent et le tourisme. Puis, il dégage quelques idées pour aller vers plus de citoyenneté. L’ouvrage donne de nombreuses références et résultats d’études tous plus intéressants les uns que les autres, et fourmille d’exemples, allant des produits de l’agriculture raisonnée aux voitures propres, en passant par le commerce équitable - par exemple le café Max Havelaar-, le commerce éthique, qui remet par exemple en cause le travail des enfants dans les pays du Sud, la banque solidaire, etc...

La thèse de l’auteur est que malgré tous ces exemples encourageants, et compte tenu des paradoxes mentionnés, le consommateur d’aujourd’hui, qui est individualiste, vindicatif, volage, avide de nouveautés et d’immatériel, n’est pas assez éduqué pour faire des choix vraiment éclairés. La question sous-jacente est celle de savoir si l’on peut ou si l’on doit résoudre les problèmes de la société par le marché. En abordant les pistes et leurs limites, l’auteur souligne les logiques perverses du marché, lorsqu’elles sont transposées au niveau des citoyens. Etre citoyen ne se réduira jamais à bien consommer. En effet, le consommateur comme un enfant gâté, lui, veut tout, tout de suite. Alors qu’être un vrai citoyen devrait consister à faire des choix et se donner des échéances. Or, le marketing politique contribue à promouvoir un citoyen dénaturé qui consomme du politique comme des 4x4.

Nous vivons donc tous dans une double schizophrénie. Celle du consommateur travailleur, par exemple contester les délocalisations et acheter à bas prix, et celle du consommateur citoyen, par exemple, vouloir aider les pays pauvres et en même temps s’en méfier. Elle repose sur une défiance généralisée envers le haut de la pyramide - la science, les médias, les politiques, Bruxelles, l’OMC, etc. Plus fondamentalement, l’auteur dit que c’est à une crise de la transmission en des valeurs humanistes et républicaines que nous avons à faire. Il appelle cela « la disparition de l’exemplarité ».

Ce constat le pousse à préconiser plus de responsabilité ; le citoyen jouit de droits mais il a aussi des devoirs. Et plus d’éducation. Et c’est là que l’ouvrage ne va pas tout à fait au bout de son projet, au risque de déboucher sur ces lieux communs : responsabilité, éducation, tout le monde dit un peu ça. Comment sauvegarder une défense du bien public qui ne soit pas réduite au marché ?

Après son appel à la responsabilité, l’auteur invoque le rôle de l’Etat qui, seul, peut faire face aux menaces sur l’environnement sans obérer pour autant la liberté, la variété des choix. Mais le problème, c’est qu’on manque de bases philosophiques ou politiques pour avancer cela. Certes, l’auteur rappelle l’ancien engagement social-chrétien de nombres patrons du commerce, certes il cite John Rawls (1) sur les relations entre l’égalité et l’éthique mais, vu l’excellence de son analyse des enjeux, on aurait attendu de sa part une analyse un peu plus fouillée du néo-libéralisme, qui devient le modèle dominant depuis le « consensus de Washington » et qui imbrique de plus en plus l’Etat et les forces du marché. L’Etat et le marché ne sont donc plus facilement dissociables. En parallèle de Rawls, il aurait pu citer, aussi, l’économiste Amartya Sen, qui analyse les aspects liés à l’équité, ou encore Inge Kaul (2) qui travaille sur l’élaboration des accords politiques.

Ainsi, l’essai sur les dérives du politique aurait pris plus de force. On comprend dès lors qu’à la fin de l’ouvrage, l’auteur parle d’éducation des consommateurs et qu’il ne parle plus d’éducation des citoyens, éducation à la compréhension de l’évolution et de la complexité de nos sociétés qui leur permettrait d’accepter les contraintes nécessaires qui deviendront de plus en plus importantes et même d’y adhérer pour surmonter les dérives de la société qu’il appelle consommatoire et qu’il dénonce à juste titre. Voilà quelques idées sur cet ouvrage passionnant."

(1) Lire l’article « L’éthique économique de John Rawls » et le portrait de John Rawls dans Wikipedia
(2) Economiste et sociologue, directrice du bureau d’études sur le développement, Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Lire l’article « La coopération internationale et l’intérêt national bien compris », sur le site du Haut conseil de la coopération internationale

Lecture critique de l’ouvrage "Bon consommateur, mauvais citoyen", par Bertil Sylvander, économiste, dans le cadre de "Ça ne mange pas de pain !" de mars 2008, "Les malheurs du mangeur : consommateur ou citoyen, faut-il choisir ?". Accéder à l’Intégrale de cette émission

Lire sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences (publications originales) :

Lecture critique de l’ouvrage de Robert Rochefort, directeur du Credoc, par Bertil Sylvander, économiste

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