06/04/2009
Dans le cadre de « Ça ne mange pas de pain ! », l’émission radiophonique de la Mission Agrobiosciences

Alimentation et société : Thierry Talou, l’homme qui flaire le futur (interview originale)

T. Talou. Copyright MAA

L’odorisation de certains espaces, du Métro aux boutiques, est devenue aujourd’hui monnaie courante. Une démarche qui, si elle indique que les odeurs sont dans l’air du temps, n’est pas toujours innocente, puisqu’elle vise aussi à attirer ou retenir les chalands. Au-delà de ces espaces, y a-t-il d’autres choses et objets que l’on cherche à odoriser ? Que nous réserve donc l’avenir dans ce domaine ? Allons-nous être menés par le bout du nez ?
Pour le savoir, Valérie Péan, de la Mission Agrobiosciences, invitait, dans sa chronique Grain de Sel, Thierry Talou, responsable du Groupe Arômes et métrologie Sensorielle (Laboratoire de Chimie Agro-industrielle de l’Ensiacet). Des mails au fil de pêche en passant par l’encre de votre imprimante, voici quelques uns des objets que ce spécialiste des arômes et des parfums cherche à odoriser et qu’il nous présente dans cette interview réalisée en janvier 2009, dans le cadre de l’émission de « Ça ne mange pas de pain ! », Demain, tous techno-phages ? .

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Alimentation et société : Thierry Talou, l’homme qui flaire le futur
Interview réalisée en janvier 2009 par Valérie Péan, dans le cadre de "ça ne mange pas de pain !", "Demain, tous techno-phages ?"

Valérie Péan  : Qu’on se le dise.... les odeurs sont dans l’air du temps. Qu’il s’agisse des parfums d’ambiance destinés aux particuliers ou encore des endroits que l’on odorise - le métro, les magasins ou même les restaurants - pour attirer ou retenir les chalands, on sent bien que les odeurs ont de l’avenir...
Et pour voir ce qu’elles nous réservent dans le futur, j’ai convié Thierry Talou. Fondateur et responsable du Groupe Arômes & Métrologie Sensorielle du Laboratoire de Chimie Agro - industrielle de l’Ensiacet, Thierry Talou est spécialiste des arômes et des parfums, que ce soit au niveau de l’extraction, de l’analyse et de la formulation.

Thierry, pour commencer, quels nouveaux objets un peu insolites essayez-vous d’odoriser ou odorisez-vous déjà, même si cela reste expérimental ?
T. Talou : Nos domaines d’activités sont très divers puisque nous travaillons aussi bien dans le champ des nanotechnologies que celui des agromatériaux, ces matériaux réalisés à partir de résidus végétaux. Pour vous donner une idée plus précise de nos travaux, nous avons récemment réalisé, en partenariat avec une société implantée sur Toulouse, des bracelets fabriqués à base d’agromatériaux et de matières plastiques, et odorisés avec de l’essence de géranium. L’objectif était d’utiliser les propriétés répulsives de cette essence vis-à-vis des moustiques dans le cadre de la lutte contre le chikungunya. Ce produit a d’ailleurs connu un réel succès.
Dans des domaines plus en relation avec la technique ou la technologie, nous cherchons à développer un système d’odorisation de l’encre des imprimantes de bureautique. Dans les imprimeries professionnelles, il est d’ores et déjà possible d’odoriser des messages. De notre côté, nous cherchons à mettre au point un procédé qui permette à tout un chacun d’odoriser ses propres documents comme, par exemple, une carte de vœux, en associant à chaque couleur d’une cartouche d’encre, une odeur bien spécifique. Nous cherchons donc des formulations qui donnent un rendu correct et une bonne tenue. Reste qu’il n’est pas évident d’odoriser ce type de produit car l’encre est un mélange très complexe, fortement stabilisé. A cela s’ajoute une autre difficulté : si chaque couleur a une odeur, il faut que le rendu final, autrement dit le mélange des odeurs lié au mélange des couleurs, soit agréable. A ce jour, nous devons encore optimiser le système.

Est-ce qu’il y a des odeurs ou des arômes qui sont plus faciles à reproduire ? Je songe par exemple à la vanille, qui doit être un parfum facile à synthétiser puisqu’on le retrouve très souvent, même dans des aliments où il n’y a pas une once de vanille...
Cet arôme est effectivement facile à synthétiser car il est composé en grande majorité, 90%, d’une seule molécule, la vanilline. D’autres arômes - le champignon, l’amande amère - peuvent également être aisément synthétisés car ils sont principalement composés d’une seule molécule. Mais parfois, l’arôme est un mélange complexe. C’est le cas notamment de l’arôme de truffe pour lequel des dizaines de composés interagissent. Dès lors, il est plus difficile d’en faire une "copie".
Mais j’aimerais revenir sur l’arôme de vanille car il est utilisé dans des domaines très divers. Un exemple parmi tant d’autres : saviez-vous que l’on pouvait aromatiser du fil de pêche avec de la vanilline ? Surprenant non ? Il faut ici préciser que la vanilline a la caractéristique d’attirer les poissons. Inutile cependant de tremper directement son hameçon dans de l’essence de vanille. Car, pour que la manœuvre soit efficace, il faut que la dose diffusée soit faible. Si, en petite quantité le produit attire les poissons, il les fait fuir quand sa concentration est trop forte. Le relargage du produit doit donc être lent et diffus, d’où l’intérêt de l’intégrer dans du fil de pêche. Mais rassurez-vous... Même s’il est attrapé avec ce type d’appât, il n’y a aucune chance que le poisson ait un goût de vanille !

Je crois que vous êtes également en train de rechercher comment odoriser les mails ?
Oui. Nous travaillons également à l’odorisation d’Internet et du multimédia. L’idée est relativement simple même si sa mise en œuvre est plus ardue : il s’agit d’associer à votre ordinateur, des capsules d’odeur dont la diffusion serait déclenchée par l’envoi de signaux. Imaginez par exemple une présentation Power Point dont l’une des diapositives déclencherait la diffusion d’une odeur venant illustrer les propos. Il s’agit encore d’un travail de recherche ; nous devrions disposer au cours de l’année 2009 d’un prototype.

Un article récent dans Courrier International signalait que certaines odeurs peuvent influencer le comportement, en court-circuitant le cerveau rationnel. Cela signifie, dès lors, qu’il serait possible, en odorisant tel magasin ou tel objet, d’inciter à la consommation ou, à l’inverse, de la freiner. Comment est-ce possible ? Est-ce une donnée que vous intégrez, sachant que vous travaillez en amont sur des technologies dont vous ne maîtrisez pas forcément les usages ?
Ces odeurs sont comparables aux images subliminales : on ne les voit pas, mais le cerveau les mémorise. De manière plus précise, ces composés, appelés phéromones, ne sont pas détectés par notre système central olfactif : nous n’avons donc pas la sensation de "sentir" ces molécules. L’organe phéromonasal, situé dans le nez, se charge de les détecter et induit en conséquence un comportement inné, que l’on ne maîtrise pas. Prenons l’exemple des phéromones sexuelles qui, selon que l’on soit un homme ou une femme, auront un effet ou bien attractif, ou bien répulsif. C’est ce qu’a montré un test réalisé il y a quelques années. Dans une salle d’attente, on place sur certaines chaises des T-shirts que l’on a préalablement imprégnés de phéromones masculins. Au fur et à mesure de l’expérience, on remarque que les femmes vont préférentiellement s’asseoir sur les chaises sur lesquelles sont posés les T-Shirt, alors que les hommes vont systématiquement chercher à s’en éloigner. Cette expérience montre bien que ces molécules induisent un comportement et ce, sans que les individus en aient véritablement conscience. Mais leur impact reste néanmoins limité. Ainsi, lorsqu’on a voulu en ajouter à des formulations de parfum, ils n’ont eu aucun effet notable.

On dit que l’argent n’a pas d’odeur... Si vous deviez odoriser nos euros, quels arômes y mettriez-vous ?
Puisque nous sommes à Toulouse, pourquoi ne pas les odoriser à la violette ? Cela étant, personnellement, je chercherais une odeur en rapport avec la couleur du billet.
Jean-Claude Dunyach : Tout dépend de ce que vous cherchez à faire ! Si vous voulez qu’on les garde, il faut mettre une odeur agréable ; si vous voulez qu’on les dépense, il faut mettre une odeur désagréable.
Thierry Talou : En effet, l’odorisation d’objets, de manière générale, n’est pas innocente. On sait un peu à l’avance quel est le résultat que l’on veut et le comportement que l’on cherche à déclencher chez les consommateurs.

Interview réalisée par Valérie Péan, Mission Agrobiosciences, en janvier 2009, dans le cadre de "Ça ne mange pas de pain !", émission spéciale, "Demain, tous techno-phages ?"

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Lire aussi les autres interviews de cette émission :

Lire sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement)  :

Une interview de Thierry Talou, responsable du Groupe Arômes et métrologie sensorielle, Laboratoire de Chimie Agro - industrielle de l’Ensiacet. Par Valérie Péan, Mission Agrobiosciences

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