04/12/2006
Intervention. 4èmes Rencontres Alimentation, Agriculture & Société. Décembre 2003.
Nature du document: Actes des débats
Mots-clés: Cancer , Risque , Santé

« Alimentation et prévention du cancer : quelle vérité ? »

Denis Corpet

"Notre façon de manger joue un grand rôle sur le risque de cancer. Comment le sait-on ? En comparant les cancers qu’ont les gens vivant dans différentes régions du monde. Alors, que faut-il manger, ou ne pas manger ? Qu’est-ce qui favorise le cancer, ou l’empêche ? Denis Corpet" fait le point sur ce que l’on sait, ce que l’on suppose et aussi ce que l’on ignore encore.Une Intervention qui a eu lieu dans le cadre des 4èmes Rencontres, mises en oeuvres par la Mission Agrobiosciences et organisées par le Conseil Régional Midi-Pyrénées.

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« C’est vrai que le cancer tue. Ou plutôt les cancers, car il existe une vingtaine de cancers différents. Et ces cancers tuent, en gros, une personne sur trois en France, car on ne sait pas très bien guérir ces cancers. On fait des progrès, mais ça n’avance pas vite. Pour donner un exemple précis, aujourd’hui 100 personnes ont appris qu’elles avaient un cancer du côlon. La moitié s’en sortira, l’autre non. Mais il est vrai qu’on pourrait éviter un grand nombre de ces cancers. En effet, notre façon de vivre détermine notre façon de mourir. Mieux vaut prévenir que guérir !

Déjà, concernant les cancers du fumeur, poumon-bouche-gorge (voies aérodigestives supérieures), ceux qui tuent le plus de personnes en France, tout le monde sait comment les éviter : pas de tabac, pas de cancer. Facile à dire, pas si facile à faire. Mais cela, tout le monde le sait déjà. Et pour la nourriture, que sait-on ? De quoi est-on sûr et certain ?
Nous sommes sûrs et certains que notre façon de manger joue un grand rôle sur le risque de cancer. Comment le sait-on ? En comparant les cancers qu’ont les gens vivant dans différentes régions du monde : il y a des pays où on a 20 ou 30 fois moins de cancers du sein, du colon, de la prostate que d’autres. Ce sont des cancers de pays développés et la France est, hélas, dans le peloton de tête, même si d’autres pays sont encore plus touchés.

Vous me direz que c’est peut-être « génétique » : si les pays comme la Chine ou le Nigeria ont moins de cancers du sein ou du côlon, c’est peut-être que les Asiatiques ou les Africains sont « résistants » à ces cancers. Pas du tout, car quand ces gens viennent habiter dans un pays riche, ils ont autant de cancers que nous, voire plus. C’est donc bien le mode de vie qui joue un rôle, en particulier l’alimentation.
Alors que faut-il manger, ou ne pas manger ? Qu’est-ce qui donne le cancer, ou l’empêche ? Hélas on ne connaît pas encore la réponse à cette question. C’est bête : on est certain qu’on pourrait empêcher les ¾ des cancers du côlon et la moitié des cancers du sein en mangeant mieux. Mais quoi et pourquoi, on n’en est pas encore très sûr. Je vais donc vous présenter ce que l’on sait, ce que l’on suppose, et vous dire aussi ce qu’on ignore encore.

Ce que l’on sait
Des fruits et des légumes, lesquels ? Combien ?

On est certain qu’il y aurait moins, beaucoup moins, de cancers si on mangeait plus de fruits et plus de légumes. Chaque fois qu’on fait une étude épidémiologique, et il y en a eu des centaines dans beaucoup de pays différents, on retrouve l’effet protecteur des fruits et des légumes.

Mais, ils n’ont pas un effet « magique », comme un médicament efficace qui marche à tous les coups. Non. Ce que l’on observe, c’est que ceux qui mangent le moins de fruits et de légumes, dans une population donnée, ont plus souvent un cancer que ceux qui en mangent le plus. Pas 10 ou 20 fois plus, mais 1,5 ou 2 fois plus de cancers. Pour certains cancers l’effet est fort et très net, on est donc sûr que les fruits et légumes protègent. Ainsi, ceux qui mangent 400g de légumes par jour ont 3 à 4 fois moins de cancer de l’estomac que ceux qui en mangent 40g, et ce sont les agrumes (oranges et citrons) qui protègent le plus contre le cancer de l’estomac. Même chose pour les cancers de la bouche ou du pharynx. Pour d’autres cancers, l’effet des fruits ou des légumes est net, mais moins fort : ainsi les gros consommateurs de légumes ont un risque de cancer du côlon diminué d’un quart environ. Enfin pour d’autres cancers, l’effet des fruits et des légumes est faible, et l’on n’est pas si sûr qu’il y ait protection, notamment contre les cancers du sein ou de la prostate.

S’il faut manger des fruits et des légumes on peut se demander lesquels et combien. La réponse, c’est beaucoup, et de tous. Beaucoup, c’est-à-dire au moins 5 fruits ou légumes variés par jour, donc à chaque repas un légume ou une salade, et un fruit au dessert, plus un autre dans la journée (petit déjeuner, goûter). Ce qui fait entre 400 et 800 g de légumes et de fruits à manger tous les jours. Lesquels ? On trouve en fait dans chaque plante un mélange de produits protecteurs qui semblent agir de concert, vitamines, antioxydants, polyphénols... Souvent ce sont les « couleurs » qui semblent bonnes : le rouge des tomates, l’orange des carottes, le vert des épinards, le bleu des myrtilles, le marron du thé... mais il n’y a pas que les couleurs, il y a aussi les produits qui donnent un goût et une odeur forte. Ainsi, l’ail, l’oignon ou les choux sont actifs, aussi, au moins dans les études expérimentales.

Alors d’accord, je mange un légume et une salade à chaque repas, plus deux ou trois fruits par jour. Que sait-on d’autre ?

Se bouger, éviter l’obésité

On est certain, également, qu’il est important d’avoir une activité physique régulière, de « se bouger » : marche, jardinage, travail physique, sport... et, c’est lié, d’avoir un poids « normal », d’éviter l’obésité.
Justement ces cancers où l’effet des fruits et des légumes est faible - le cancer du sein qui est si fréquent et le cancer de l’endomètre (la muqueuse de l’utérus) - sont nettement plus fréquents chez les femmes obèses que chez celles qui ne le sont pas. De façon un peu curieuse, le risque de cancer du sein n’est augmenté par l’obésité qu’après la ménopause.
L’activité physique protège. Oui, ceux qui « se dépensent » ont moins souvent que les autres un cancer du côlon, du sein, de la prostate, de l’endomètre. Au total, cela semble une question d’équilibre. Manger trop ou ne pas se dépenser assez favorise nettement les cancers.
A quoi cela est-il du ? Pour les cancers hormonaux-dépendants, comme celui du sein, on pense que l’excès de graisse favorise un excès d’hormones dans le sang : plus d’œstrogènes, plus d’insuline, qui vont stimuler la croissance des cellules tumorales.

L’alcool... avec modération

L’alcool, un autre « aliment » dont on est sûr qu’il agit sur le risque de cancer. L’alcool est un puissant facteur de risque pour les cancers de la bouche, du pharynx, du larynx, de l’œsophage, mais seulement chez les gros buveurs, et surtout s’ils sont aussi fumeurs. Cependant, même le non-fumeur qui boit 1,5 l de vin par jour aura 20 fois plus de risque d’avoir un cancer de l’œsophage que celui qui boit un verre par jour. Pour le cancer du sein également, l’alcool est un facteur de risque. Celle qui boit, en moyenne, trois verres par jour voit son risque de cancer du sein augmenter de 50%. Enfin, l’alcool augmente aussi le risque de cancer du rectum, surtout quand c’est de la bière qui est consommée.

Voilà, je vous ai dit tout ce dont on est certain, ce sur quoi tout le monde est d’accord. On ne sait pas grand chose finalement, mais ces quelques vérités sont importantes, faciles à dire, faciles à comprendre, même si elles ne sont pas forcément faciles à appliquer, par exemple pour celui ou celle qui n’arrive pas à perdre du poids ou à se débarrasser du tabac ou de l’alcool. Mais même pour eux, le premier conseil de manger davantage de fruits et de légumes est un bon conseil.

En fait, on en sait beaucoup plus sur le lien entre les aliments et les cancers. Mais j’hésite à vous livrer ces informations, car elles ne sont pas vraiment prouvées. Du coup, tout le monde n’est pas d’accord pour dire que ce sont des « vérités ». Je vais cependant vous en dire un peu plus sur les hypothèses que l’on fait actuellement sur la viande et les charcuteries, les fibres et les graisses, le calcium et le poisson, car elles peuvent inciter à faire attention, même si elles ne sont pas prouvées.

Ce que l’on suppose
Charcuteries, viande rouge, viandes blanches et produits de la mer

Les charcuteries et, dans une moindre mesure, la viande rouge semblent augmenter le risque de cancer du côlon et du rectum. L’augmentation du risque n’est pas énorme, d’un tiers environ pour les « plus carnivores », et elle n’est pas visible dans toutes les études. En aucun cas ceci doit conduire à être végétarien, car la viande contient des nutriments très utiles, et certaines demoiselles qui n’en mangent pas du tout sont anémiées et fatiguées. Cependant, il est inutile et peut-être néfaste de manger trop de charcuteries et de viande rouge (tous les jours de la charcuterie ou un steak de bœuf midi et soir).

Dans mon laboratoire, j’étudie le sujet de la viande rouge. Je donne à des rats un régime à base de viande rouge ou de l’hème pur, c’est le rouge de la viande. Cela augmente fortement la cancérogenèse dans le côlon de ces rats, par rapport à des rats témoins qui mangent un régime sans hème. J’étudie aussi comment empêcher cet effet néfaste. Cela semble apparemment assez facile. En effet, si j’ajoute à l’hème du calcium ou de l’huile d’olive dans l’alimentation des rats, l’hème n’a plus aucun effet néfaste. Mais avant d’extrapoler à notre façon de manger, encore faut-il vérifier que ce qui se passe dans notre intestin est comme ce qui se passe dans l’intestin des rats.

Si les charcuteries, et à un moindre degré la viande rouge, sont mises en cause dans certaines études, ce n’est jamais le cas pour le poulet ou le poisson : viandes blanches et produits de la mer ne sont jamais des facteurs de risque de cancer. Même, leur consommation semble diminuer le risque, protéger dans certains cas contre certains cancers.

Graisses sataniques et fibres bénies ?

Deux autres hypothèses très débattues : les graisses favoriseraient certains cancers, tandis que les fibres protègeraient contre ces mêmes cancers. Qu’est ce qu’on a pu dire sur ces sujets, pendant des années ! Graisses sataniques et fibres bénies ! Il est vrai que nombre d’études semblaient montrer que ceux qui mangeaient « très gras » avaient plus de cancers, et que ceux qui mangeaient beaucoup de fibres en avaient moins. On a depuis testé expérimentalement ces hypothèses, en donnant tous les jours, pendant plusieurs années, un régime maigre et fibreux à des centaines de volontaires. Il mangeaient par exemple des céréales très riches en son de blé, et devaient « chasser » les graisses de leur assiette. Pendant le même temps, un nombre égal de volontaires servait de témoin, et leur alimentation contenait peu de fibres et beaucoup de graisse, comme l’alimentation qu’ils avaient l’habitude de prendre avant l’étude. Aucune de ces études d’intervention n’a confirmé l’hypothèse fibre/graisse. A chaque fois, au Canada, en Australie, aux Etats-Unis, on a trouvé exactement autant de tumeurs chez les témoins et chez ceux qui mangeaient le régime maigre et fibreux. Alors, il est difficile de continuer à dire que cela protège contre le cancer. Pour d’autres raisons cependant, il est bon de manger assez de fibres (contre la constipation) et pas trop de graisses (contre l’obésité et pour les artères et le cœur), mais cela n’empêche sans doute pas les cancers.

Avec ce système des grandes études d’intervention, on pourrait effectivement prouver qu’un produit, qu’un aliment, qu’un nutriment permet d’éviter une maladie. Ces études doivent absolument être faite dans des conditions rigoureuses, pour qu’on puisse en tirer une conclusion valable. On doit donc les faire comme on ferait une expérience chez des rats : en double aveugle, c’est à dire que ni le volontaire ni le médecin qui l’examine ne savent ce qu’il « prend ». Même les sujets témoins doivent prendre « quelque chose », un placebo, pour leur faire croire qu’ils sont traités, cela après tirage au sort, c’est à dire que les gens ne choisissent pas leur « groupe », leur traitement. Cela risquerait de fausser les résultats. Comprenez : quand quelqu’un accepte de participer à l’étude, on tire au sort s’il recevra, pendant plusieurs années, le placebo ou le nutriment dont on veut tester l’effet protecteur. Qu’on donné ces études d’intervention chez l’homme pour la prévention nutritionnelle des cancers ?
Pratiquement toutes ont été décevantes : pas d’effet ou un effet trop faible pour qu’on puisse être sur qu’il vient du produit testé, un peu comme pour les fibres et les graisses. Il n’y a que deux études qui ont donné un résultat positif, qui ont montré l’effet protecteur d’un supplément alimentaire.
La première étude positive est américaine, faite par John Baron, en 1999 : John a montré que chez des gens à qui on avait enlevé un polype dans l’intestin, la prise régulière de cachets de calcium diminuait nettement la repousse d’un polype dan l’intestin. Nettement, mais pas énormément : -15%. Or ces polypes sont des tumeurs précancéreuses. Il est donc probable que la consommation de produits contenant du calcium, des produits laitiers par exemple, puisse diminuer le risque de cancer du côlon.

Pourquoi suis-je si prudent dans ma conclusion ? Parce que l’étude n’a pas porté sur des yaourts ou du fromage, mais sur des cachets de calcium, et qu’elle n’a pas démontré une réduction des cancers, ce qui aurait été trop long, mais une réduction des polypes.
La deuxième étude positive est toute récente, puisqu’elle n’a même pas encore été publiée, et elle est française. C’est l’étude SU.VI.MAX1 de Serge Hercberg. Elle porte sur 13 000 volontaires, les suvimaxiens Dans cette étude, Serge et son équipe ont donné un mélange de vitamines et minéraux "antioxydants" (bêta-carotène, vitamine C, vitamine E, zinc et sélénium à des doses « nutritionnelles »). L’autre moitié du groupe a pris un placebo. Les résultats n’ont pas montré d’effet protecteur chez les femmes, mais Serge a observé un tiers de cancers en moins chez les hommes, ce qui correspond à 37% de mortalité en moins. C’est un effet gigantesque, jamais vu, incroyable : 1 personne sur 3 ! Serge a conclu son étude en disant que ces apports de bêta-carotène, de vitamines C et E, de zinc et de sélénium pouvaient très bien être apportés par une alimentation équilibrée, riche en fruits et légumes.

Conclusion

Voilà l’essentiel de ce que l’on sait aujourd’hui : oui aux fruits et légumes, à l’activité physique, au calcium, et ne pas trop manger, pas trop de viande, très peu d’alcool et pas de tabac du tout.
Et le reste, tout le reste de ce que l’on peut lire ou entendre est encore du domaine de l’hypothétique, du « peut-être », du « non-démontré ». Ce n’est pas forcément faux, mais en tous cas pas démontré. Il faut encore chercher à connaître ce qui est bon, ce qui est mauvais, et à comprendre comment ça marche, pourquoi c’est comme ça. Mais rien qu’en mettant en pratique ces connaissances, on diminuera le nombre de cancers. Rien qu’en mangeant bien, en suivant ces simples conseils, vous diminuerez d’un tiers au moins, des deux-tiers au mieux, votre risque d’avoir un jour un cancer. Et par effet d’entraînement, par bonne contagion, vous protégerez aussi ceux que vous aimez. Alors, bon appétit ! »

Par Denis Corpet. Directeur de l’équipe "Aliment et Cancer" de l’UMR Inra-Envt.

Denis Corpet est Ingénieur Agronome, docteur es sciences. Il a mené des recherches à l’INRA sur les résidus d’antibiotiques dans les aliments et les bactéries de l’intestin des hommes et des animaux d’élevage résistantes aux antibiotiques. Aujourd’hui, il est Directeur Scientifique de l’Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse, où il enseigne la nutrition et l’hygiène des aliments de l’homme. Il dirige également l’équipe « Aliments & Cancer » de l’UMR INRA-ENVT « Xénobiotiques ». Le but de ses recherches : comment prévenir le cancer par la nutrition, plus précisément, en quoi certaines viandes pourraient favoriser le cancer du colon ?


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