19/12/2008
Alimentation, agriculture et environnement.

Comment limiter l’impact de notre alimentation sur l’environnement ? Quels sont les leviers d’action possible ? Quelles conséquences pour nos modèles de production et de consommation ?

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Ce samedi 13 décembre 2008, de 9h30 à 13h, se déroulait à Toulouse, à l’hôtel d’Assézat, une rencontre-débat sur le thème « Alimentation et environnement : les gaz à effet de serre du champ à l’assiette ». Organisée par l’Union Régionale des Ingénieurs et Scientifiques et les Agros de Midi-Pyrénées, avec le soutien de l’Ademe et de la Mission Agrobiosciences, cette table ronde, animée par Jean-Claude Flamant, visait à faire le point, de la « fourche à la fourchette », sur l’impact de notre alimentation dans la production de gaz à effet de serre (GES). Les organisateurs avaient en effet convié tous les acteurs de la chaîne alimentaire : Hubert de Rochambeau, adjoint au Président du centre Inra de Midi-Pyrénées, Nathalie Debar, Présidente de l’UFC-Que Choisir de Toulouse, Gilbert Delahaye, directeur du développement durable du Groupe Casino, Thierry Blandinières, directeur général de Delpeyrat Maïsadour, Jean-François Gleizes, président du Groupe coopératif Occitan, et Bruno Lion, de la direction régionale de l’agriculture et de la forêt (DRAF) de Midi-Pyrénées. Un panel auquel se sont joints Christophe Hevin, de l’Ademe Midi-Pyrénées et Denis Salles, sociologue à l’Université de Toulouse-Le Mirail, invités respectivement à introduire et clôturer ces rencontres.
La Mission Agrobiosciences retrace ici les grandes lignes des échanges, en attendant l’édition des Actes.

Quand l’alimentation nourrit l’effet de serre

En premier lieu, Christophe Hevin, de l’Ademe a dressé un premier bilan de l’impact de l’alimentation dans la production de gaz à effet de serre, en particulier de dioxyde de carbone (CO2). Transport des denrées, multiplication des emballages, fabrication d’engrais, cultures sous serre, transformation et conservation des produits... Du champ à l’assiette, les sources d’émission de GES sont évidement nombreuses, diverses mais aussi très variables d’une source à l’autre. Ainsi, par exemple, le transport en avion émet plus de GES que le transport en bateau, de même qu’une culture sous serre par rapport par rapport à une culture à ciel ouvert. Et si l’agriculture a un impact sur l’environnement - elle est le troisième émetteur de GES en France après les transports et l’industrie - , « on oublie souvent que la majorité des productions proviennent de nos usages ». D’où la volonté de l’Ademe de sensibiliser également les consommateurs sur ces questions. Parmi les actions en cours, elle travaille à la mise en place d’une « étiquette carbone » qui mentionne la quantité de CO2 émise tout au long du cycle de vie d’une denrée.

Jusqu’où peut-on sensibiliser les consommateurs ?

Mais le « consommateur est-il mûr sur ces questions "Alimentation et environnement" » ? Rien n’est moins sûr si l’on en croit la présidente de l’UFC-Que Choisir, Nathalie Debar. Selon elle, c’est le prix qui détermine majoritairement les actes d’achat. Certes, il y a effectivement un défaut d’information en particulier pour les aliments transformés dont on perçoit peu le fort impact sur l’environnement. « Mais faut-il pour autant surcharger des étiquettes déjà peu lisibles ? ».
Une remarque qui pointe les limites de l’information des consommateurs. Car, comme le souligne l’adjoint au Président du Centre Inra de Toulouse, Hubert De Rochambeau, il existe une « dualité entre le comportement du consommateur et celui du citoyen » : entre les déclarations et les actes d’achat, l’écart reste important sur ces questions d’environnement.
. Or, ce sont désormais les choix des consommateurs en tant qu’acteurs économiques combinés aux principes affirmés par les citoyens en tant qu’acteurs politiques, qui tendent à influencer fortement les maillons qui structurent les « agro chaînes » dans un contexte d’abondance alimentaire. Et si l’on remonte ces « agro chaînes » jusqu’aux producteurs au sein des territoires ruraux, comment inciter les acteurs agricoles à réduire leur production de GES dans un contexte déjà difficile de fluctuation des prix agricoles ?

La traque au CO2...

Du distributeur au producteur, les premières actions se mettent en place en vue de tenir compte de ces nouvelles préoccupations sociétales tout en respectant la logiques de rentabilité économique des opérateurs. Ainsi, le Groupe Casino, comme le rapporte Gilbert Delahaye, directeur du développement durable, indique désormais sur les produits de sa marque distributeur, pour lesquels il est possible de maîtriser l’intégralité du processus de production, un indice carbone. L’objectif de cet indice, qui intègre l’intégralité du cycle de vie de chacun des composants d’un produit, est d’engager le groupe et ses partenaires dans une démarche de réduction de la production de CO2.
Autre initiative, celle du groupe Delpeyrat-Maïs Adour représenté par Thierry Blandinières. Pour cet industriel, il s’agit à la fois de réduire la production de GES tout en restant dans une logique de profit et donc de survie de l’entreprise. Dès lors, il convient de considérer le développement durable sous l’angle, certes de l’impact environnemental des productions, mais aussi dans une perspective de création de valeurs supplémentaires attachées au produit. Concrètement, cette démarche a conduit l’entreprise à créer, par exemple, une plateforme commune de distribution et à améliorer, avec les transporteurs, le taux de remplissage des camions.
Enfin, du côté des agriculteurs, Jean-François Gleyzes, Président du Groupe Occitan, rappelle que de nombreux efforts ont été fournis par les producteurs depuis 1990 et que le bilan carbone des systèmes de production s’est considérablement réduit depuis lors. Certes l’agriculture, comme de nombreuses d’autres activités humaines génèrent du CO2. Mais précise-t-il, « n’oublions pas que la plante en fixe également via le mécanisme de la photosynthèse et que les bilans ne prennent pas en compte le CO2 ainsi capté ». En outre, les pratiques agricoles ont évolué vers une agriculture dite de précision. Désormais, on apporte à la plante et au sol le strict nécessaire en matières d’intrants (engrais, pesticides...). L’association Passion Céréales s’est donnée pour but, au niveau national, de faire connaître au grand public les progrès réalisés dans ce sens.

Le carbone, un indice pertinent ?

Pour autant, peut-on réduire notre alimentation et avec elle, l’agriculture, à un indice CO2 ? C’est la question que pose implicitement le dernier invité de cette table ronde, Bruno Lion, de la DRAF. Rappelant les orientations prises en matière d’agriculture dans le cadre du Grenelle de l’environnement, il précise que ce dernier oublie deux questions : Quels sont les modèles alimentaires qui produisent le plus de gaz à effet de serre ? Quels sont les circuits de production, de transformation et de distribution les moins productifs ?
Selon lui, appréhender l’agriculture et l’alimentation seulement à travers le prisme de l’émission de CO2 est une erreur. Car cela revient à considérer que les produits de terroir, par exemple des poulets sous labels, sont nocifs pour l’environnement car ils génèrent plus de CO2 que les poulets élevés en batterie. De manière plus globale, la viande, en particulier la viande de bœuf, apparaît systématiquement comme un fort producteur de CO2 au regard d’autres denrées. Voilà pourquoi, « l’indice carbone ne peut pas être un facteur d’orientation des politiques publiques ». Le raisonnement doit intégrer d’autres critères et être pensé, par exemple, en terme de territoire. En réponse à cette remarque, Gilbert Delahaye précise que l’objectif de l’indice carbone n’est pas de montrer que la production d’une salade émet moins de CO2 qu’une viande de bœuf provenant d’un élevage au pâturage mais d’améliorer, pour chaque produit, son bilan carbone. De même, pour l’Ademe, cette initiative vise non à stigmatiser certains produits mais à stimuler l’innovation.
Dans ce contexte, l’agriculture biologique peut apparaître comme une alternative intéressante. Reste que si ce mode de production est plus respectueux pour l’environnement, il n’est pas pour autant moins émetteur de CO2 comme l’indique Jean-François Gleyzes. « Si le bio utilise moins d’intrants que l’agriculture conventionnelle, il peut consommer plus de carburants ». Entre outre, le CO2 émis est très variable d’un produit AB à l’autre, et parfois supérieur à ceux issus de l’agriculture conventionnelle.

Comment changer les représentations ?

L’indice carbone est-il un bon indicateur ? Derrière cette question, les enjeux sont de taille. Comme le soulève le sociologue Denis Salles, il s’agit à la fois de comprendre et de mesurer un phénomène - l’impact de l’alimentation sur l’environnement - puis de le rendre lisible par tout un chacun. La volonté d’un indicateur est de simplifier les choses, ce qui signifie qu’il faut réfléchir aussi bien à sa nature, ses critères de composition que sa compréhension, ce qu’il va produire.
Autre point saillant des échanges : comment peut-on agir ? Denis Salles distingue plusieurs leviers d’action. Tout d’abord le consommateur, dont on a pointé la dualité entre sa rationalité de citoyen et ses pratiques de consommation. Une dualité qui s’explique effectivement par l’importance du prix dans l’acte d’achat mais également par le poids de la routine, la difficulté de modifier ses pratiques. Quant à la question de l’information, on oublie souvent que le consommateur en est accablé et qu’il ne peut être réceptif à tout. En outre, ce dernier délègue, d’une certaine manière, à des organisations de consommateurs et de citoyens, le droit de le défendre. Celles-ci doivent donc mieux s’organiser pour aborder de front les enjeux de cette question, à l’instar des regroupements qui s’opèrent dans d’autres pays.
Second levier d’action, le marché. A ce niveau, il pointe le cloisonnement qui existe entre les différents acteurs de la chaîne et l’influence des représentations. Il cite, en exemple, des pêches qui, en dépit de condition de productions innovantes et respectueuses de l’environnement, n’ont pas été commercialisées parce que les distributeurs ont estimé que le calibre était inférieur à ce que souhaite le consommateur.
Du côté des producteurs, il relève effectivement l’échec d’intégration de l’agriculture dans les politiques environnementales. Enfin, pour ce qui concerne les pouvoirs publics, l’Etat doit, selon lui, prendre une place plus importante dans la création des normes.
En définitive, plus qu’une simple mise en lien des différents secteurs, il faut s’orienter vers une véritable co-responsabilité de ces derniers au travers d’accords formalisés. Il y a, sur ces questions, des changements de modèles à opérer, de nouvelles routes à construire.

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En savoir plus sur l’indice carbone du Groupe Casino
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Lire sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement)  :

Une synthèse de la table ronde « Alimentation et environnement : les gaz à effet de serre du champ à l’assiette » organisée par l’Union Régionale des Ingénieurs et Scientifiques et les Agros de Midi-Pyrénées, le 13 décembre 2008 à Toulouse

Accéder à toutes les Publications : Alimentation et Société Des conférences-débats, tables rondes, points de vue et analyses afin de mieux cerner les problématiques sociétales liées au devenir de l’alimentation. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes les publications « l’Alimentation en question dans "Ça ne mange pas de pain !" (anciennement "Le Plateau du J’Go"). Les actes de l’émission de la Mission Agrobiosciences sur l’actualité de Alimentation-Société diffusée sur Radio Mon Païs (90.1), les 3ème mardi (17h30-18h30) et mercredi (13h-14h) de chaque mois. Revues de presse et des livres, interviews et tables rondes avec des économistes, des agronomes, des toxicologues, des historiens... mais aussi des producteurs et des cuisiniers. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences

Accéder à toutes les publications : Agriculture et Société Des conférences-débats, tables rondes, points de vue et analyses afin de mieux cerner les problématiques sociétales liées au devenir de l’agriculture. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à tous les Entretiens et Publications : "OGM et Progrès en Débat" Des points de vue transdisciplinaires... pour contribuer au débat démocratique. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

Accéder à toutes les publications : Sur le bien-être animal et les relations entre l’homme et l’animal Pour mieux comprendre le sens du terme bien-être animal et décrypter les nouveaux enjeux des relations entre l’homme et l’animal. Avec les points de vue de Robert Dantzer, Jocelyne Porcher, François Lachapelle... Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences

Accéder à toutes les Publications : "Sciences-Société-Décision Publique"de la Conversation de Midi-Pyrénées. Une expérience pilote d’échanges transdisciplinaires pour éclairer et mieux raisonner, par l’échange, les situations de blocages « Science et Société » et contribuer à l’éclairage de la décision publique. Edités par le Magazine Web de la Mission Agrobiosciences.

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Les cahiers de l’Université des Lycéens, moment de rencontres entre des chercheurs de haut niveau, des lycéens et leurs enseignants. Des publications pédagogiques, agrémentées d’images et de références pour aller plus loin, qui retracent la conférence du chercheur et les questions des lycéens.
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