25/02/2013
La revue de presse de la Mission Agrobiosciences, 25 février 2013

Réintroduction des farines animales : petit poisson deviendra grand (article revue de presse)

C’est sûr. La Commission européenne a joué de maladresse, tout le monde en convient. En pleine crise des lasagnes à la viande de cheval, le 14 février dernier, elle a annoncé qu’à compter du 1er juin 2013, les poissons d’élevage pourront être nourris avec protéines animales transformées (PAT), issues de sous-produits de porcs et de poulets. Si celles-ci n’ont pas grand chose à voir avec les farines animales des années 90, l’idée même de la réintroduction de ces produits suffit à raviver la crainte d’une nouvelle crise tant le terme est associé à l’épisode de la vache folle.
Risque sanitaire, étanchéité des filières, considérations économiques, enjeux environnementaux, acceptabilité sociale… La Mission Agrobiosciences passe au crible les différentes questions soulevées par cette réintroduction.

Ces farines animales qui n’en sont pas…
D’abord, il y a les farines animales telles qu’elles existaient auparavant. Destinées aux ruminants, celles-ci étaient élaborées à partir de sous-produits d’animaux voués à l’incinération ou à des usages non alimentaires. En d’autres termes, des produits impropres à la consommation telles que les carcasses. Identifiées comme le vecteur de l’agent ESB [1], elles ont été interdites en 1994 dans l’Union européenne.
Dans le cas présent, le ministère de l’agriculture est très clair : « Les Protéines animales transformées (PAT) sont des sous-produits issus d’animaux sains, c’est-à-dire des animaux issus de la chaîne alimentaire conventionnelle, abattus à des fins d’alimentation humaine, mais dont les morceaux ne sont pas consommés pour des raisons commerciales (morceaux non nobles, pieds de porc, aspects visuels… ). » Les secondes n’ont donc pas grand chose à voir avec les premières.

Du non « recyclage » des protéines
Autre différence, et non des moindres, « les seuls animaux qui pourront être nourris de protéines animales transformées de non ruminants seront des animaux aquatiques (sole, turbot, rouget-barbet) » (Ministère de l’Agriculture). Il s’agit de respecter le principe de « non cannibalisme », également dénommé principe de « non recyclage des protéines » qui interdit de nourrir un animal avec des farines issues d’animaux de la même espèce. En outre, seuls les sous-produits de porcs et de poulets pourront entrer dans la composition des PAT, les ruminants (et donc les bovins) restant exclus. L’enjeu : éviter tout risque de contamination par l’ESB. Les derniers avis scientifiques de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) [2] indiquent ainsi que « le risque de transmission d’ESB entre animaux non ruminants est négligeable pour autant qu’il n’y a pas de recyclage entre les espèces ». C’est sur la base de ces avis que se fonde la décision de Bruxelles [3].

Le "oui mais" de l’Anses
Pour l’ Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), les choses ne sont pas aussi tranchées. Certes, d’un point de vue strictement biologique, les conclusions de l’Agence rejoignent celles de Bruxelles. Dans l’avis qu’elle rend en octobre 2011, elle estime « négligeable » « le risque d’amplification (apparition d’un phénomène épizootique) des agents des EST [4] si l’on peut empêcher […] toute ingestion par des non ruminants de PAT issues de la même espèce ».
Mais à ses yeux, deux garanties sont nécessaires. Elle recommande tout d’abord la mise en place « d’une parfaite étanchéité des filières produisant et utilisant les PAT ». L’objectif : éviter toute contamination croisée. Ensuite, l’Agence pointe un manque. Il n’existe pas de méthode « permettant d’identifier les espèces animales entrant dans la composition des PAT ». Difficile dès lors d’opérer des contrôles. Au vu de ces éléments, l’Agence estimait, en 2011, que les conditions n’étaient totalement pas réunies. D’ailleurs le 18 juillet 2012, la France, tout comme l’Allemagne, s’était opposée à la position de la Commission européenne en votant contre l’introduction des PAT dans l’alimentation des poissons (Actu-environnement).

Accroître la durabilité de la filière aquacole
« Les PAT pourraient être un substitut précieux aux farines de poisson qui sont une ressource rare ». La durabilité de l’aquaculture. C’est l’argument phare mis en avant par la Commission européenne pour justifier l’autorisation de ces farines. Pour en comprendre tous les enjeux, Sud-Ouest et Libération dressent le portrait de ce secteur en plein boom. En l’espace de dix ans, ce dernier a progressé de 35%, et avec lui, la demande en aliments transformés – farines et huiles de poisson - issus de la pêche minotière. Problème : « cette ressource s’est raréfiée depuis vingt ans alors que la consommation de poisson et l’aquaculture se sont beaucoup développées » explique à Sud-Ouest Sadasivam Kaushik, chercheur à l’Inra. Or cette tension entre la ressource et les besoins risque d’aller croissante les prochaines années, l’aquaculture prenant une part de plus en plus importante dans l’approvisionnement en produits aquatiques. A l’échelle mondiale, elle supplante désormais les captures sauvages.
D’où la position de la Commission européenne que l’on pourrait résumer ainsi : pourquoi donc puiser dans des ressources marines déjà fragiles et surexploitées alors que l’on a sous la main des produits qui ne sont ni consommés, ni valorisés.

Réduire les coûts
A ces enjeux environnementaux se greffent des considérations économiques. En autorisant les PAT, Bruxelles relance, involontairement, le débat sur le coût de l’interdiction des farines animales. Dans le journal Marianne, Jean-Claude Jaillette ne mâche pas ses mots pour en dénoncer le montant « exorbitant ». « En Europe, 17 millions de tonnes de sous-produits animaux sortent chaque année des abattoirs pour être incinérés après avoir été stockés. En France, ces déchets permettaient de produire 700 000 tonnes de protéines animales remplacées, depuis l’interdiction, par autant de protéines végétales importées, du soja OGM en particulier ».
De là à conclure que l’utilisation des PAT permettrait de réduire la facture, il n’y a qu’un pas que certains franchiront allègrement. Reste cette question : compte-tenu des différences entre les PAT et les farines animales des années 90, la facture serait-elle réellement moins salée ?

Une décision qui bute sur un os
Risque sanitaire négligeable, préservation des ressources maritimes, avantages économiques… A la lumière de ces considérations, les professionnels de l’aquaculture devraient massivement opter pour ce mode d’alimentation en juin prochain. Rien n’est moins sûr. Les personnalités interrogées par Libération et Sud-Ouest sont sceptiques.
Pour Jean-Louis Peyraud, directeur de recherche à l’Inra, « techniquement et écologiquement, réutiliser ces sous-produits est un bon choix. Mais il existe un réel problème d’acceptabilité sociale ». Même conclusion pour Françoise Médale, spécialiste de l’aquaculture à l’Inra. Si les farines de volaille et de porc sont sûres, leur « acceptabilité par l’opinion » est loin d’être acquise.
Selon elle, les professionnels ne s’y trompent pas. Dans l’entretien qu’elle accorde au journal Sud-Ouest, on apprend par exemple que les « farines de plumes de volailles et de farines de sang sont permises depuis quelques années » mais « très peu utilisées par les professionnels en France en raison de l’image négative de ces produits ».

Et à part des PAT, on mange quoi ?
Quelles alternatives dans ce cadre ? La piste la plus prometteuse est celle des protéines végétales (soja, colza, blé, maïs, lupin, pois). Explorée par les chercheurs, cette alimentation se développe fortement en aquaculture, puisqu’elle représente désormais 85% de la portion alimentaire contre 25% il y a quinze ans. Mais on le sait, le développement de la filière végétale en agriculture est un débat tout aussi houleux.
Pour l’heure, celui sur les PAT semble clos. Lors de sa visite au Salon de l’Agriculture ce samedi 23 février, « le président François Hollande a assuré que la France ne réintroduirait pas les farines animales dans l’alimentation d’élevage. »

Revue de presse de la Mission Agrobiosciences, 25 février 2013


Sources :

Sud-Ouest, Libération, Marianne, Le Point, Alimentation.gouv, Anses, Actu-environnement, Le Figaro.

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[1Encéphalopathie spongiforme bovine

[2Avis des 24 janvier 2007 et le 17 novembre 2007

[3RÈGLEMENT (UE) n°56/2013 de la Commission du 16 janvier 2013, modifiant les annexes I et IV du règlement (CE) n°999/2001 du Parlement européen et du Conseil fixant les règles pour la prévention, le contrôle et l’éradication de certaines encéphalopathies spongiformes transmissibles Accéder au texte réglementaire

[4Encéphalopathies spongiformes transmissibles

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