18/06/2013
Chronique originale sur les normes. La directive nitrate. 18 Juin 2013.

Directive nitrate : Cette norme qui pollue le débat

La récente condamnation de la France par la Cour de justice de l’Union européenne, qui a fait la Une des journaux le 13 juin 2013, ravive une controverse déjà ancienne. L’affaire a plus de 20 ans, et date plus précisément du 12 décembre 1991, quand le Conseil de l’Union européenne a adopté la directive nitrate. Or, malgré plusieurs rappels à l’ordre et condamnations récurrentes, la France n’a de toute évidence jamais réellement traité le problème à la source, échappant à chaque fois de justesse aux très lourdes sanctions pécuniaires grâce à quelques expédients. Un sujet plus complexe qu’il n’y paraît, où l’on décèle des points de clivage forts au sein de la société française, tout du moins dans sa relation aux normes.
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Des coupables désignés ?

A priori, le procès est déjà tout instruit. Sur le banc des accusés, ceux que la société civile appelle les « agriculteurs pollueurs ». Des éleveurs intensifs, principalement, qui polluent en répandant trop de lisier ou d’engrais, mais dont certains croulent aussi sous les dettes et peinent à vivre de leur métier. Le principe du « pollueur-payeur », reconnu par la communauté européenne, voudrait qu’ils soient ceux qui portent le fardeau des aménagements à mettre en place pour respecter la directive nitrate. Mais étant donné leur mode de production, respecter cette directive serait pour eux une gageure. D’où leurs protestations, comme le 16 janvier dernier par exemple, où à l’initiative de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et des Jeunes agriculteurs (JA), ils ont manifesté devant le ministère de l’Agriculture avec les slogans « Laissez-nous faire notre métier » et « Non aux décisions politiques arbitraires, oui au bon sens paysan ».

Un « bras de fer » contre l’Europe des normes, au détriment des contribuables ?

Une opposition à une directive qui leur paraît arriver « d’en haut » dans un « millefeuille règlementaire », et être complètement inadaptée à leur réalité quotidienne. Jusqu’à présent, les gouvernements successifs ont plus ou moins cédé, début mars par exemple en repoussant la mise en conformité des installations et la modification des pratiques à fin 2016, ou en 2007 en recensant moins de « zones vulnérables » qu’il n’y en avait réellement. C’est pour ce dernier manquement que la France est aujourd’hui condamnée. De nouvelles condamnations concernant d’autres aspects de la même directive pourraient ne pas tarder à suivre.

Doit-on alors considérer, comme la journaliste Patricia Loison au Soir 3 du 13 juin, que les agriculteurs auraient jusqu’à présent gagné le « bras de fer » (l’expression revient dans presque chaque article traitant de la condamnation) entre les dirigeants qui doivent faire appliquer les normes, et les agriculteurs ? Et ceci aux dépends des contribuables qui paieront bientôt l’amende de plusieurs dizaines de millions d’euros si rien n’est fait très rapidement. A l’inverse, pour aller dans le sens des agriculteurs en question, on pourrait considérer qu’ils ne sont qu’un maillon parmi d’autres, pas plus responsable de la pollution que l’ensemble du système. De fait, la première façon de poser le problème revient à opposer le bien-être des agriculteurs et les normes environnementales. Est-ce pourtant si évident ?

Un paradoxe à dépasser…

La directive nitrate a pour objectif de préserver les eaux, ressource éminemment nécessaire, de la pollution agricole. Quand on connaît le coût économique, social et environnemental de la pollution des eaux et des marées vertes en conséquence, l’objectif de la directive paraît bien légitime, y compris pour le bien-être des agriculteurs eux-mêmes. Cette affaire vient alors illustrer à quel point il est difficile d’appliquer une norme qui tente de rééquilibrer un système boiteux à l’origine. C’est d’ailleurs pourquoi de nombreux pays ont demandé une dérogation à cette directive, pour quelques régions ou tout leur territoire : les Pays-Bas d’abord, puis l’Allemagne, l’Irlande, le Royaume-Uni, la Belgique et l’Italie.

N’allez pas imaginer que ces pays sont de mauvais élèves, qui se permettraient de ne pas appliquer les normes que nous supportons. Bien au contraire, s’ils peuvent déroger à la quantité maximale de 170 kg d’azote par hectare et par an pour l’épandage d’effluents d’élevage, c’est qu’ils ont par ailleurs parfaitement identifié quelles étaient leurs zones vulnérables, et que même avec cette dérogation, ils continuent à respecter l’objectif de la directive d’un maximum de 50mg de nitrates par litre. La dérogation permet donc de mieux adapter la norme à des territoires particuliers, s’ils ont par exemple « des périodes de végétation longues, des cultures à forte absorption d’azote, des précipitations nettes élevées ou des sols présentant une capacité de dénitrification élevée » (Europa.eu).

Et si les normes devenaient obsolètes ?

La directive nitrate serait ainsi une norme à laquelle on peut déroger… si l’on est bon élève ! N’est-ce pas ce que l’actuel ministre de l’Agriculture souhaiterait, lorsqu’il dit « On [ne serait] plus dans la norme a posteriori, on [serait] dans la construction a priori » ? En intégrant toutes les exigences aussi bien économiques qu’environnementales dès la construction du système, son projet agro-écologique entend dépasser la normalisation, qui tente tant bien que mal de corriger les externalités négatives d’un système mal conçu.

Le projet agro-écologique apparaît ainsi comme une proposition normative – au sens du droit, qui fixe ou prescrit des règles ou principes – fixant un idéal où il n’y aurait plus besoin de normes. Où la directive nitrate, parmi d’autres, deviendrait obsolète. En attendant, la difficulté consistera sans doute à assurer la transition


Sources :

Une chronique de la Mission Agrobiosciences, signée Diane Lambert-Sébastiani.

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