11/07/2014
Histoire de ...

Lombric : vous reprendrez bien un petit ver ?

Michel Morvan

Malgré l’intérêt tout récent qu’on leur porte désormais, leur popularité n’a pas toujours atteint les sommets. Il faut dire que leur forme disgracieuse et leur corps gluant ne sont pas en leur avantage… Ils ont même très longtemps tenu le mauvais rôle dans l’imaginaire des hommes et des femmes des campagnes. Meurtris, écrasés, souvent traqués, les vers de terre étaient suspectés, jusqu’au XIXe siècle, de ronger les racines des plantes et donc de participer à la destruction des cultures. Aujourd’hui, ces légendes populaires battent en retraite face aux observateurs et professionnels qui ont étudié et reconnu l’efficacité de ces espèces trop longtemps stigmatisées. Charles Darwin a sans doute été l’instigateur de l’intérêt pour ces géants des sous-sols, en consacrant plus de quarante ans d’observation condensés dans un ouvrage : Rôle des vers de terre dans la formation de la terre végétale (1881). En écho aux paroles d’Aristote, qui nomma nos bestioles les « intestins de la terre », le livre de C. Darwin a fait l’effet d’un coup de pied dans la fourmilière des fausses idées.

Des chiffres qui en disent long…

Reprises et développées par des générations de travailleurs de la terre, ces études ont permis aux lombrics de gagner leur place dans le monde des hommes. Depuis cet élan d’intérêt, le lombric et ses anneaux connaissent des scores olympiques ! Jugez-en : on en connaît 5000 espèces et on soupçonne qu’il y en ait plus de 7000. Certaines, en Amérique du Sud ou en Afrique, peuvent dépasser les un à deux mètres de longueur. Sous vos pieds, ils sont des myriades : de 500 à 1 000 dans un seul m² pour peu que le milieu s’y prête, ce qui, au poids, représente 2 à 5 tonnes sur un hectare. On comprend dès lors que ces petits animaux discrets représentent près de 80% de la masse totale des animaux sur la planète (Etres humains inclus).

La répartition des taches

Parmi cette faune grouillante et rampante, le travail se répartit. Les espèces les plus communes sont les anéciques, les endogés et les épigés. Les premiers (longs de 15 à 45 cm), en creusant verticalement, se chargent de remonter à la surface des minéraux enfouis au plus profond du sol et, sans chômer sur le retour, se goinfrent de litière et de fumier pour les emporter dans leurs galeries souterraines, s’en régaler jusqu’à les transformer en déjections riches en nutriments, au plus grand bonheur des plantes. Les endogés, qu’on reconnaît à leur pâleur et à leur plus petite taille (5-18 cm), préfèrent l’horizontalité. Ils creusent non loin de la surface du sol. Et, par cette action, participent activement à l’ameublement des terres. Leurs galeries, qui peuvent atteindre 400 à 500 m en tout sur un m² de prairie, rendent l’absorption de l’eau plus facile. Sur des sols travaillés par le labour, par exemple, leur intervention peut s’avérer capitale pour éviter l’érosion et les glissements de terrain. La troisième espèce, encore plus petite (2-6 cm), travaillent en surface. Elle glisse sur la « litière » du sol. Impossible donc de la retrouver dans les champs cultivés par le labour, elle préfère de loin les sous-bois, les prairies où bien d’autres paysages du moment qu’elle peut y trouver quelques végétaux en décomposition, échoués à la surface du sol. Comme pour les autres espèces, ses déjections, riches en nutriments, sont nécessaires aux plantes ; de la bonne matière organique récupérée en partie par les anéciques qui, mus par un désir de verticalité, enfouissent ce terreau intestinal dans les tréfonds de la terre.

Une lente migration

Seul hic : pas facile de faire revenir ces petits mangeurs de terre dans leur habitat d’origine quand ils ont été délogés par l’activité humaine. Plusieurs techniques existent, mais la plus efficace est sûrement celle de réapprovisionner la surface du sol en herbage ou autres matières végétales en décomposition. Le carton humide est un de leurs pêchés mignons. Des jardiniers vont même jusqu’à élaborer des « pièges » à vers, composés de cartons humides et de feuilles décomposées, pour en capturer quelques uns afin de les déposer aux endroits à recoloniser. La patience est toute fois recommandée, car ces organismes n’ont pas l’étoffe des lapins côté fertilité. Pépères rampants hermaphrodites, ils ne se reproduisent qu’une fois par an. Les deux partenaires s’échangent particules mâles et particules femelles pour repartir chargés d’œufs qu’ils déposeront, chacun de leur côté, dans une de leurs galeries, à l’abri des regards indiscrets. Et surtout n’essayez pas de les couper en deux en vue de doubler leurs effectifs. Cette coutume barbare est en vérité une fable. Au pire ils mourront, au mieux, seul leur partie antérieure survivra.

Le compost paye son ver

L’intérêt porté à ces annélides est tel que certains sont allés jusqu’à les apprivoiser. Pas question bien sûr de se balader avec son ver de terre domestique au bout d’une laisse. Non, non, ils sont davantage des aides ménagers que des animaux de compagnie. Il s’agit alors de leur installer un petit nid douillet et de leur donner à manger. En retour ? Un terreau plus que riche en nutriments pour nourrir les plantes du jardin. Cette pratique se répand assez largement chez les particuliers. Peu chère et efficace elle fait la joie des plantes en pots. Le lombricompost, puisqu’il s’agit de lui, est composé de plusieurs étages, tous troués (sauf la base), pour permettre aux vers de voyager parmi les strates. Deux ingrédients : de la terre humide et des déchets. Lentement, ils mangeront, digèreront et défèqueront les épluchures pour en faire un compost rivalisant avec ceux du commerce.
Evidemment, des sociétés se sont emparés de cette idée pour en faire un fonds de commerce. Ils facilitent la construction de ces boîtes à composts, et fournissent des vers aux particuliers qui ne sauraient ou n’auraient pas la possibilité d’en dénicher près de chez eux. Ces revendeurs de vers sont souvent parallèlement des exploitants agricoles qui ont développé le concept du lombricompost à une échelle plus grande. C’est notamment le cas des exploitations agroécologiques pour qui les vers de terre sont des auxiliaires majeurs.
Bref, qu’on soit de la ville ou de la campagne il est toujours temps de se mettre au ver…

Chronique de Maxime Crouchez, stagiaire à la Mission Agrobiosciences, juillet 2014.

RETROUVEZ toutes les chroniques Histoire de
Par Maxime Crouchez le 11 juillet 2014

Mot-clé Nature du document
A la une
BORDERLINE, LE PODCAST Une coproduction de la MAA-INRAE et du Quai des Savoirs

Écoutez les derniers épisodes de la série de podcasts BorderLine :
Générations futures : pourquoi s’en remettre à demain ?
Humains et animaux sauvages : éviter les lieux communs ?
Le chercheur-militant, un nouveau citoyen ?

Voir le site
FIL TWITTER Des mots et des actes
FIL FACEBOOK Des mots et des actes
Top