12/10/2006
Chronique Histoire de..., 2006.
Nature du document: Chroniques

Science et Alimentation. Les abbés du foie... Gras

Trente ans au service du foie gras, comme d’autres de la foi, si cela ne confère pas un titre de pape, voici une vocation qui mérite le détour. D’autant que ces années de travaux scientifiques, menés par René Babilé (1), Professeur, et Alain Auvergne, Ingénieur de Recherche, tous deux chercheurs au sein de l’Equipe Zootechnie et Qualité des Produits Animaux de l’Ecole Nationale Supérieure Agronomique de Toulouse (2), ont été essentielles dans l’histoire de la production des palmipèdes gras.
Il aura fallu trente ans, seulement, pour qu’un mode de production millénaire, le foie gras, entre de plain pied dans la révolution industrielle. Depuis l’Egypte antique, en passant par Rome ou la Hongrie, les anciens se passaient le secret du savoir-gaver : certains palmipèdes prédisposés peuvent être gavés et produire, ô miracle, un foie d’une saveur et d’une finesse incomparables. Vinrent les années 1970. L’industrie, qui a déjà rationalisé les modes de production des autres viandes, s’intéresse à la filière des palmipèdes gras. C’est à ce moment que les chercheurs Alain Auvergne et René Babilé entrent en jeu. Leur rôle ? Injecter un peu de science dans la foi en des recettes ancestrales. Donner à comprendre avant de transformer. Et aider à maîtriser ce qui est produit. L’histoire de leurs recherches suit pas à pas les grandes questions que ces deux chercheurs ont formulées ou celles qui leur ont été posées par bon nombre de partenaires industriels, de producteurs d’aliments ou d’éleveurs.

En presque trente ans, pas moins de 10 thèses, 40 DEA et diplômes d’ingénieurs baliseront une multitude de problématiques : le choix de l’animal à gaver, le type d’alimentation, le rythme et la durée du gavage, les conditions de vie et d’abattage des palmipèdes, le mode de cuisson... Mais aussi, en aval, l’analyse du goût, les moyens à mettre en place pour assurer la qualité, les conditions de création d’un label signalant le lieu d’origine et les conditions d’élevage... On verra même le laboratoire démontrer, à la demande des éleveurs confrontés aux protestations vertueuses des Anglo-saxons, farouches opposants du gavage des animaux, que l’hypertrophie du foie ne saurait être assimilée à une cirrhose : non seulement le gavage ne provoque pas de lésion, mais il constitue un phénomène d’accumulation réversible. En clair : si le gavage est interrompu, le foie retrouve son état normal.

Spectaculaire envolée

Mais revenons aux débuts des travaux. Initialement, la demande des professionnels est pragmatique : quel animal gaver pour augmenter la production de gras ? Si l’oie est sans conteste l’animal roi, sa reproduction est difficile à maîtriser et son coût de production élevé. Reste donc le canard. Mais pas n’importe lequel.
Car l’équipe scientifique le démontre rapidement : dans nos campagnes, c’est le canard mulard, hybride stérile du mâle de Barbarie et de la cane de Pékin, qui produit les meilleurs résultats. Le développement de l’insémination artificielle, initié à la suite des travaux de l’Ecole nationale supérieure agronomique de Toulouse et l’INRA, fut le point de départ des travaux de génétique et de sélection menés ensuite par la Station d’Amélioration Génétique des Animaux de l’INRA Toulouse et par des sélectionneurs privés. Résultat : de 1980 à 2005, la production de foies gras de canards passe de 2 500 à 20 000 tonnes... Une envolée pour le moins spectaculaire.
Auparavant, Alain Auvergne et René Babilé avaient également montré que, dans certaines conditions d’élevage, les mêmes performances peuvent être obtenues avec les canards de Barbarie, et ce pour une période de gavage plus courte et plus intensive. S’attaquant ensuite à l’alimentation, ils prouveront qu’un complément de gavage protéique permet d’obtenir un gain de poids du foie d’environ 100 grammes. Pas négligeable.

Nouvelles problématiques

Ajoutez à cela une « nouvelle technique de préparation », où face à la traditionnelle éviscération à froid, les deux chercheurs mettent en avant l’intérêt de l’éviscération à chaud immédiatement suivie par la mise en bocaux et le traitement thermique, et vous obtenez une diminution considérable de la perte par fonte qui passe alors de 40% à 10% seulement.
La filière malgré les progrès réalisés est toujours confrontée à de nouveaux problèmes. L’équipe de Zootechnie de l’Ecole nationale supérieure agronomique s’est donc étoffée (Michel Bouillier, maître de conférences ; Hervé Remignon, professeur ; Xavier Fernandez, chargé de Recherches INRA ; Caroline Molette, maîtresse de conférences) et aborde de nouvelles problématiques autour du bien-être des animaux et de la qualité des produits : maîtrise des conditions d’étourdissement et d’abattage des animaux, intégrité des cellules hépatiques et rendement technologique des foies gras transformés, réduction de l’engraissement et maintien de la qualité organoleptique, facteurs de détermination de la qualité des viandes de volailles en vue de la transformation.

Aujourd’hui, les problèmes technologiques ont été résolus par des avancées notables sur tous les plans. Reste à caractériser les produits, c’est-à-dire à disposer d’éléments objectifs permettant de déterminer la qualité (présentation, aptitude à la transformation...), le goût et l’arôme des produits mis sur le marché... Autant de critères indispensables pour justifier auprès du client les différences de prix. D’où l’intérêt des recherches que mène actuellement le laboratoire de l’Ecole nationale supérieur agronomique de Toulouse. Sans oublier que cet axe organoleptique pourrait s’intéresser de nouveau à l’oie.

Chronique "Histoire de" par Sylvie Berthier, Mission Agrobiosciences. 12 Octobre 2006.

(1) René Babilé. Après avoir dirigé le laboratoire de Zootechnie et Qualité des Produits Animaux pendant quatorze ans, se consacre plus particulièrement à l’animation des recherches sur le foie gras en présidant le Comité Scientifique National des Palmipèdes à foie gras, en siégeant à la Commission Recherche Développement du Comité Interprofessionnel Foie Gras et en présidant le Comité de Pilotage de stations d’expérimentation. C’est aussi en tant qu’expert qu’il participe au Comité de Certification de QUALISUD et examine les dossiers de certification de conformité et de labellisation des produits. Alain Auvergne est resté plus près de l’expérimentation et encadre de la mise en place et de la réalisation des essais du laboratoire sur les sites expérimentaux.
(2) Equipe d’Accueil du Ministère de la Jeunesse, de l’Education Nationale et de la Recherche et Unité Sous Contrat INRA.

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